Interview with Isabelle Nanty

La metteure en scène de « l'Hôtel du Libre-Échange »

Metteure en scène de « L'Hôtel du Libre-Échange » de Feydeau

Ce n'est pas la première fois que vous abordez Feydeau...

Non, je l’ai joué (On purge bébé) et mis en scène (Un fil à la patte), je connais ses pièces et ses monologues mais comme je n'ai pas de mémoire, je passe mon temps à oublier et à redécouvrir, donc à voir sans cesse les choses autrement. Est-ce parce qu'Éric Ruf, en m'invitant à venir travailler avec la Troupe, m'avait d'abord proposé un conte, et que je m’étais donc replongée dans cet univers-là, en relisant par exemple Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède, mais lorsque le choix s'est finalement porté sur L'Hôtel du Libre-Échange pour la Salle Richelieu, je me suis rendue compte que ce Feydeau là comportait plus de poésie, de délicatesse et d'enfance que dans le souvenir que j'en avais gardé. J’y ai vu plus de sentiments, plus de relations entre les personnages, qui semblent moins enfermés dans des rôles imposés par la société bourgeoise et surtout moins enfermés en eux mêmes.

Il y a dans la plupart des pièces de Feydeau une sorte de surdité psychique à l'œuvre. On y croise des personnages désabusés et égoïstes. Chacun parle sans être entendu.

Dans L’Hôtel du Libre-Échange en revanche, on trouve encore des gens qui s’aiment, qui se sont aimés, ou qui rêvent de l’être ; il y a plus de candeur.

Un désir d’être compris, aimé. Au début de la pièce, quasiment tous les protagonistes attendent encore quelque chose de la vie, d’eux-mêmes ou de l’autre. Les possibilités de rencontres y sont encore prometteuses et authentiques.

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Cette caractéristique a-t-elle influencé la manière dont vous avez élaboré votre distribution ?

Le choix de la distribution a été fondamental pour ce que j’ai envie de dire des êtres humains à travers cette pièce.

J’ai donc choisi chacun pour ce que j’aime de son humanité, pour ce que je suppose de son « drôle » et de son « tragique ». Et j'espère travailler avec les acteurs de la Troupe de manière à faire ressortir le destin, le passé, les rêves des personnages. Un peu comme chez Tchekhov : on oublie parfois qu'avant Stanislavski, ses pièces étaient jouées comme des vaudevilles, et que même lorsqu'on les tire vers une certaine gravité, la juxtaposition de certaines situations crée, si ce n’est un effet comique, du moins de la drôlerie.

Voulez-vous dire qu'il y a une certaine mélancolie, voire une sorte de tristesse chez Feydeau?

Il y a assurément de la mélancolie dans L'Hôtel du Libre-Échange. Mais il ne faut surtout pas que ce travail sur le destin des personnages, sur leurs rêves brisés ou encore vivaces vienne entraver le rythme de la mécanique infernale... car mécanique il y a, sinon, on ne serait pas chez Feydeau ! Entrées, sorties, apparitions, une cascade d'événements a lieu tout au long de la pièce, événements qui vont mettre les personnages en situation de danger les uns par rapport aux autres. Au fond, on peut dire que cette mécanique implacable survient comme le destin, mais qu'à l'intérieur d'elle, des cœurs s’affolent, s'emballent. Ce qu'il y a d'intéressant aussi dans cette pièce, c'est que s'y manifeste la peur. C'est en cela, je trouve, qu'il s'agit d'une pièce enfantine, adolescente : les uns, avides de réaliser leurs fantasmes d'adultère, d'aller à la rencontre d'eux mêmes à travers l'autre, les autres ancrés dans « l’hyper instant », comme des enfants, comme Laurel et Hardy aussi. Et cette fièvre va être accentuée par le danger, par cet enchaînement de situations qui sont autant de mises en échec de leurs objectifs, de menaces à leur candeur. Ils ont un côté canaille, irrévérencieux et naïf à la fois. Cette part enfantine va cependant de paire avec le déclin d'une espérance, avec l'idée que l'amour va bientôt se faner, ce qu'il faut à tout prix compenser en donnant libre cours à ses pulsions sexuelles, comme au passage de l’adolescence à l’âge adulte. Tout cela se finit, au troisième acte, en une sorte de dépression post coïtum, dictée par la crainte d'être découvert ; chacun retourne à son rôle social, redevient le pion du grand jeu organisé par la vie, et non par son désir. On a là une ambiance blafarde de petit matin… Peut-être à la fin de la pièce deviendront-ils tous de « vrais »personnages de Feydeau, la déception, le détachement, la désillusion ayant fait irruption dans leur projet de vie.

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Vous inscrivez la pièce dans son époque; comment allez vous illustrer cette part d’ivresse, d’adolescence, d’enfance et de merveilleux ? Quelles ont été vos conversations avec Christian Lacroix à ce sujet ?

J’ai une grande admiration pour l’artiste Christian Lacroix, pour son goût singulier et unique, le filtre de poésie qu’il pose sur tout ce qu’il touche.

Notre rencontre s'est faite sur le mode d'une magnifique communauté d'intuitions, pour ne pas dire sur celui de la télépathie ! Mais en fait, de toutes nos discussions, échanges d’images, c’est lui qui a transfiguré, sublimé la vision simple que j’avais. Nous avons par exemple une admiration commune pour des peintres comme Vallotton et Vuillard, mais nous avons aussi beaucoup échangé sur nos souvenirs d’enfance et sur des références très contemporaines, quotidiennes même. D'autre part, nourrie par l'univers des contes que j'étais en train de relire, j'ai très vite évoqué avec lui l'idée de mettre les personnages dans des grandes salles de jeu, ce qui lui a plu, je crois. L’atelier des premier et troisième actes est conçu un peu de cette façon. On y trouve des accessoires auxquels on peut s'accrocher, des tabourets qui tournent, un canapé qui devient un petit castelet… Au deuxième acte, l’hôtel ressemble un peu à une maison de poupée en coupe, où vient s’inscrire un univers miniature. Des éclairages mystérieux vont révéler le côté fantomatique de l'endroit, un peu à la manière des attractions de foire : lumières, apparitions… Un escalier apparent permettra l'arrivée à vue de personnes venant compromettre une action ; les spectateurs seuls les verront et, comme au Guignol, ils pourront avoir envie de crier : « Au secours ! Attention, il arrive, il est là ! » Nous serons dans ce suspense qui crée l’excitation quand on sait d'avance ce que la situation va provoquer. Pour revenir à la mécanique de Feydeau, elle symbolise pour moi une époque où tout s'est emballé à la suite de l'industrialisation et des inventions modernes. Cette grande accélération du rythme général de la vie me fait penser à un train fou. C'est un mécanisme implacable qui a conduit tout droit à la fin d’un monde et à l'aube d’un nouveau, le nôtre, en bien piteux état. Je trouvais intéressant que, dans le décor, une mécanique apparente fasse écho à la symbolique de cette mécanique sociale et industrielle qui, à cette époque déjà, évoquait une sorte de« fin du monde ».

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Qu’est-ce qui, à votre avis, provoque le rire chez Feydeau ?

Il me semble que c'est l'incompatibilité entre les élans des personnages et le contexte dans lequel ils évoluent, parsemé d'obstacles et de situations contradictoires qui les empêchent d'arriver à leurs fins.

Il y a donc à la fois une dimension réelle et une dimension métaphysique à la production de ce rire. Je parlais de mélancolie mais, contrairement à Tchekhov et à son âme slave, on retrouve chez Feydeau ce côté très « français », fantasque, vif, menteur, improvisateur, anarchiste, qui nous vient des Lumières… Cependant, ces personnages restent des « âmes ». Certes, les situations sont parfois pathétiques, mais elles sont humaines, vraies, si bien que l'on rit, parfois, jaune ; on se moque de la vanité de certains personnages, tout en éprouvant une certaine compassion. On mesure le décalage entre ce qui est possible et ce dont le personnage est réellement capable. C'est la raison pour laquelle j'attends du jeu des acteurs qu'il soit nourri de complexes, de secrets, de secrets réels ; il est toujours très intéressant, pour moi, qu'un acteur, quel que soit son rôle, investisse ses propres secrets dans ses personnages tout en leur en inventant d’autres. Chez Feydeau, derrière la mécanique, on doit sentir des âmes qui soufrent, se débattent, ne peuvent pas s’en sortir. J'accorde une grande importance au rêve que les acteurs se sont fait de leur rôle, il doit correspondre aux « fantasmes » d'interprétation qu’ils se sont construits.

En outre, je crois que pour jouer Feydeau, il faut retrouver une certaine ivresse. Elle est l'essence même du métier d'acteur.

Dans cette pièce, l'état d'ivresse se conjugue particulièrement bien avec cette ultra-créativité, cette irrévérence, cet esprit de transgression et cette émotivité qui caractérisent tant l’adolescence et l’enfance. Tout cela doit se produire dans le respect de la « mécanique infernale ». Il est nécessaire de bien faire connaissance avec les personnages dès le début de l'intrigue pour comprendre leur parcours, l'endroit d'où ils viennent. Feydeau d'ailleurs y tenait, et travaillait soigneusement cet aspect de ses pièces. Cela peut s’indiquer par des tout petits détails de jeu qui, multipliés, permettent de mieux cerner l'intériorité des personnages, et cela crée un souffle...

Qui s'illustre également dans les conditions« climatiques » de la pièce...

Exactement ! L'atmosphère… les lumières (signées Laurent Béal) et les décors auront d'ailleurs une dimension très atmosphérique.

La pluie joue un rôle central dans la pièce. Le printemps, aussi, la nuit, le clair de lune.
Puis arrive ce petit matin blafard où toutes les choses sont comme délavées, ternies (à l'instar des illusions de chacun), où on entend aboyer des chiens au dehors puis, tout à coup, l’orage, et la pluie qui revient, à point nommé si l'on peut dire…

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Propos recueillis par Laurent Muhleisen, conseiller littéraire de la Comédie-Française, le 22 mars 2017 .
Photos : © Brigitte Enguérand

23 May 2017

L'Hôtel du Libre-Échange

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    la saison 24-25

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