Le 5 décembre 2020, marque le 150e anniversaire de la mort d’Alexandre Dumas, romancier et dramaturge.

Lors du premier confinement certains comédiens de la Troupe ont voulu lui rendre hommage, de chez eux, une création sous la direction de Jérôme Pouly.


ÉCHOS HISTORIQUES

En effet, on l’oublie trop souvent, c’est Alexandre Dumas qui, avant Victor Hugo, lança la Révolution romantique à la Comédie-Française, avec sa pièce Henri III et sa cour, donnée le 10 février 1829 au terme d’un feuilleton dramatique de plusieurs semaines, car le théâtre avait d’abord accepté sa pièce Christine avant de s’en remettre à Henri III.

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  • Scène de Henri III et sa cour d'Alexandre Dumas (Acte III, scène 5 : scène dite du « gantelet »), dessin d’Alfred Johannot, 1829 © Collections Comédie-Française

PETIT PANORAMA DE LA FRANCE EN 1829, À L'AUBE DU ROMANTISME

À l’Empire de Napoléon succède la Restauration de la dynastie des Bourbons, Louis XVIII puis Charles X sont appelés à régner dans un contexte de remise à l’ordre du jour de l’ultra-catholicisme et d’un conservatisme politique. Le romantisme, comme courant artistique pictural et littéraire, ressent quelques difficultés à se situer politiquement : les jeunes romantiques sont plutôt royalistes, comme Hugo, mais très vite, ils se sentent enfermés dans un carcan conservateur qui ne leur va pas et cherchent à s’en émanciper. Au cours du siècle, ils embrassent l’idéologie libérale sans pour autant adhérer au conformisme de la bourgeoisie montante, qui prend le pouvoir. Hugo, dans la préface de Cromwell en 1827 affirme que le romantisme est un mouvement moderne avec des conceptions politiques propres : « le romantisme, déclare-t-il, n’est rien d’autre que le libéralisme en littérature. »

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  • Alexandre Dumas en 1832,par Léon Noel © Collections Comédie-Française

LA COMÉDIE-FRANÇAISE EN 1829

À la mort de Talma en 1826, la Comédie-Française perd son étoile et peine à lui trouver un remplaçant. Avec sa disparition, c’est tout un répertoire qu’on ne peut plus interpréter : la tragédie classique, mais aussi toutes les tragédies contemporaines taillées sur mesure pour son talent. Seule Mlle Mars, éternelle jeune première à bientôt 50 ans, fait rayonner la Comédie.

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  • Mlle Mars, dessin anonyme daté de 1828 ©Collections Comédie-Française / Patrick Lorette

Le baron Taylor en 1825, commissaire nommé par le gouvernement de la Restauration, sous le règne de Charles X, chargé de la surveillance du Théâtre-Français, va changer la donne. Mandaté pour contrôler la gestion financière, il ne rêve que de mises en scène, d’innovations scéniques et de nouveau répertoire, le tout entre deux voyages archéologiques, sa deuxième passion…

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  • Le Baron Taylor © Collections Comédie-Française

Mais voilà, les théâtres se livrent à une concurrence acharnée, et la Comédie-Française est délaissée par un public friand d’effets scéniques spectaculaires, d’intrigues mélodramatiques qui tirent des larmes aux plus insensibles… pas du tout le genre de répertoire qu’on joue rue de Richelieu.

Cependant, être joué au Français à l’époque, c’est la gloire, et pour les jeunes loups du romantisme, les Dumas, Hugo, Vigny, rien de tel pour se mettre le pied à l’étrier.

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  • Victor Hugo d’après M. Alophe. Galerie de la Presse, de la littérature et des Beuax-Arts, vers 1830 © Collections Comédie-Française
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  • Alfred de Vigny d’après Emile Lassalle. Galerie du Journal le Voleur, vers 1830. © Collections Comédie-Française

LE ROMANTISME, UN COURANT LITTÉRAIRE EN PUISSANCE EN 1829

Depuis plus d’un siècle, les auteurs dramatiques vivent dans le souvenir d’un âge d’or : celui du classicisme de Molière, Corneille et Racine. La plupart d’entre eux obéissent encore à des règles datant de la fin du XVIIe siècle qui dictent comment écrire de belles pièces. Certains ont fait évoluer les genres, bien sûr, mais en ce début de XIXe siècle, le conformisme est de mise.

Les romantiques, eux, veulent bouleverser les frontières traditionnelles : intégrer des éléments du mélodrame, recourir à des décors spectaculaires donnant une parfaite idée du temps et du lieu de l’intrigue, le fameux goût pour le pittoresque, libérer le vers et la langue du carcan classique. Hugo donne ses idées dans la préface de Cromwell en 1827.

Le courant répond au développement des recherches historiques. Les érudits ont exhumé les archives qui permettent d’écrire l’histoire, mais comment vulgariser cette connaissance savante auprès d’une population qui, avec la Révolution, est devenue consciente de son rôle dans l’Histoire ? L’idée qui émerge déjà sous la Révolution est d’utiliser le théâtre et les comédiens, les meilleurs passeurs de cette histoire lorsqu’ils en incarnent les protagonistes.

Mais les romantiques, loin de s’intéresser à la grande histoire, celle des faits glorieux, mettent en exergue des épisodes mineurs, voire anecdotiques. C’est là que le théâtre redevient politique : en montrant les rois au quotidien dans l’exercice du pouvoir, on en fait des hommes comme les autres, pas plus méritants, et parfois assez ridicules…

Le but de Dumas est ainsi de montrer « les grands hommes en robe de chambre », les coulisses sinistres du pouvoir, les mesquineries. Il démythifie ces rois en déshabillé, leurs passions minables qui sont des causes de guerres. La question politique est décidément tournée en ridicule. Pour cela, il va recourir aux meilleurs comédiens de la Troupe, au premier rang desquels Mlle Mars.

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  • Mlle Mars dans La Duchesse de Guise, Galerie Hautecoeur-Martinet, 1829 © Collections Comédie-Française

À l’approche de la création le 10 février 1829, l’agitation au théâtre est extrême. Anxieux, Dumas demande au Comité « 250 ou 300 » places pour assurer le succès. On repeint de vieux châssis pour les décors, mais la grande affaire reste les costumes. Le 18 janvier, M. Albertin interpelle le baron Taylor, toujours aussi rêveur, songeant à son prochain voyage :

Monsieur Taylor,
Il est indispensable que vous preniez la peine de venir demain à la répétition de Henri III( votre bulletin vous donnera l’heure) afin de donner un dernier coup d’œil aux décors et convenir exactement de tout ce qui est nécessaire pour les costumes et autres dessins accessoires.
Duponchel dit que le travail fait par Mr. Chopin n’a pas le sens commun ; j’ignore ses motifs, mais ce que je sais bien c’est qu’il nous faut le dessin des costumes au moment où nous parlons. Qui doit les faire ? Est-ce Mr Allaux ? Est-ce Duponchel qui ne dessine pas ? Est-ce Mr Chopin qui ne veut plus remettre les pieds au théâtre ?
Le travail des mémoires va de manière à ne pas laisser douter que l’ouvrage puisse aller à la fin du mois, ainsi qu’il est porté en aperçu au répertoire, et les travaux du magasinier seront en retard par rapport à toutes ces controverses de Duponchel avec Chopin et autres. Vos ordres ainsi que vos intentions doivent donc être connus sans délai.
M. Taylor, M. Taylor !...

Quelques jours plus tard…

Monsieur Taylor,
Vous me dites que j’aurai le plaisir de vous voir demain à midi et demi. J’ai prié Mrs Allaux, Ludovic et Cruchet de venir au théâtre, afin de s’entendre enfin sur l’exécution des costumes et accessoires de Henri III.
J’ai longuement parlé ce matin avec Joanny, et enfin, il entend la raison mais il réclame à toute force le dessin de ses deux costumes.
Au moment où j’allais vous voir, Ludovic vient me trouver en m’apportant quatre dessins de Mr Allaux, et en m’annonçant que demain à midi et demi malgré mon invitation et la vôtre, il ne viendra point au théâtre attendu qu’ils s’occupent l’un et l’autre sans relâche, de la confection des autres dessins et qu’ils perdraient trop de temps en venant demain inutilement ; si vous pensez le contraire, écrivez-leur en persistant un petit mot confirmatif.
Ludvic m’assure que tout sera fait pour après demain samedi. C’est bien tard, trop tard, car tout le monde réclame les dessins pour faire exécuter les costumes qui nous feront attendre. Je n’en doute pas car les mémoires font des progrès à vue d’œil et l’ouvrage sera su avant que les costumes soient à moitié faits.

LA CRÉATION D'HENRY III ET SA COUR D'ALEXANDRE DUMAS EN 1829

La création d’Henri III et sa cour fut un immense succès et ouvrit la porte à Victor Hugo qui, un an plus tard, donna au théâtre Hernani ce qui occasionna une célèbre bataille littéraire. Dans Henri III, une scène, particulièrement, fit scandale, la scène du gantelet, choquante par sa brutalité, inaccoutumée au théâtre, encore régi par la règle de bienséance qui interdit toute action violente. Le duc de Guise use de sa force physique envers la duchesse pour la contraindre à écrire le mot fatal pour son amant. Il lui tord le bras avec son gantelet de fer jusqu’à lui « laisser des traces bleuâtres » sur la peau, comme l’indique la didascalie.

LA RÉCEPTION

La légende colportée par les journalistes indique des événements probablement imaginés pour monter en épingle le scandale.

« On disait qu’après la représentation d’Henri III, une ronde sabbatique avait eu lieu autour du buste de Racine, que les funèbres danseurs avaient fait entendre ce refrain sacrilège : “enfoncé Racine ! ” et que même un cri de mort avait été poussé par un jeune fanatique nommé Amaury Duval, qui demandait la tête des académiciens. On accusait un romantique furieux d’avoir dit “ décidément, Racine n’est qu’un polisson”».

« Tous les jeunes sectaires dansèrent, en s’écriant, Racine enfoncé ! Voltaire enfoncé ! Afin de ne plus voir nos grands hommes, ils voulurent jeter tous leurs bustes par la fenêtre
- Melpomène et Thalie enfoncées !
- Mort aux académiciens »

« Tout le parterre, et il était plein jusqu’aux bords, le parterre tout entier, sans en excepter un seul individu, a terriblement applaudi à la fin de cette pièce. Ces applaudissements sont à mettre sur le compte des soldats de cette formidable brigade qui avait d’abord encombré le parterre et même éclaboussé les loges »

« Le succès de l’ouvrage est monstrueux. M. Dumas a été demandé à grands cris. Bien des gens regrettent qu’il n’ait pas paru. On assure que sa physionomie porte des caractères éminemment romantiques. »

LE RÉPERTOIRE DE DUMAS À LA COMÉDIE-FRANÇAISE

Loin d’être fidèle, Alexandre Dumas donne ses pièces à tous les théâtres, accentuant sans scrupule la concurrence entre les scènes. Après le coup d’éclat d’Henri III et sa cour à la Comédie-Française, il porte finalement Christine à l’Odéon en 1830, Antony au Théâtre de la Porte-Saint-Martin en 1831 et revient à la Comédie-Française pour Le mari de la veuve en 1832, Charles VII chez ses grands vassaux en 1837 – après sa création à l’Odéon en 1831 – et son monumental Caligula la même année.

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  • Cinq maquettes de Louis Boulanger pour la création de Charles VII chez ses grands vassaux, à l’Odéon, en 1831 © Collections Comédie-Française
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  • Deux maquettes d’Eugène Giraud pour la reprise de Charles VII chez ses grands vassaux, à la Comédie-Française, en 1837 © Collections Comédie-Française

La Comédie-Française considère que Dumas est la clé du succès et ne cesse de lui demander des pièces, même si le répertoire romantique est particulièrement coûteux à monter. Les frais de décors et de costumes sont vertigineux. Ils étaient de 11 592 francs en 1829 pour Henri III et sa cour. Ils sont de 43 811 francs en 1837 pour Caligula. Les exigences du dramaturge paraissent extravagantes aux comédiens peu habitués à subir la loi des auteurs.

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  • Maquette de décor pour Caligula : actes I et III (la chambre de la nourrice), par l’Atelier Séchan et Cie, 1837 © Collections Comédie-Française / Lorette
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  • Deux maquettes de Louis Boulanger pour les costumes de Caligula, 1837 © Collections Comédie-Française / Noack

Comme Hugo il réclame la reprise régulière de ses pièces, exige des droits exorbitants, voire des primes supplémentaires en cas de succès, et n’hésite pas à traîner le théâtre en justice : en 1839 il prétend obtenir 10 000 francs de dommages et intérêts au Français pour n’avoir pas monté Antony. Dumas se comporte en auteur-star, comme en témoigne cet échange de correspondance en mai 1840 où il prend la liberté d’établir lui-même la programmation du théâtre.

« On lit une lettre de M. Alexandre Dumas à M. le Commissaire du Roi, par laquelle, en remerciant l’administration de la remise d’Henri III actuellement en répétition, et de celle de Christine qui lui a été promise, il annonce l’intention de présenter dans le mois de décembre prochain un drame en cinq actes qui, en cas de réception, serait mis immédiatement à l’étude. Il offre en outre de s’engager à traduire en vers dans le laps de 18 mois trois pièces de Shakespeare : le Hamlet, le Macbeth et le Jules César et demande que de son côté l’administration s’oblige à faire représenter chacune de ces pièces dans les 6 mois de sa réception. Le Comité ne croyant pas devoir prendre un engagement de cette nature, arrête qu’une réponse à Alexandre Dumas sera présentée. »

Puis plus tard : « M. Alexandre Dumas se plaint des formules évasives de sa lettre par laquelle le Comité a cru devoir répondre à sa proposition de s’engager formellement à faire représenter dans un temps déterminé plusieurs ouvrages qu’il est dans l’intention de composer. Pour réduire la question qu’il réitère à sa plus brève expression, il exige que la réponse du Comité se renferme dans l’un de ces deux monosyllabes, oui ou non, encore lui laisse-t-il la liberté d’exprimer la négative par son silence : c’est le parti auquel le Comité regrette de se voir contraint. »
(Registre du comité d’administration)

Procédurier, tatillon, Dumas parvient à établir de véritables traités qui asservissent le théâtre en lui imposant des pièces et en laissant toute latitude à l’auteur pour retarder la remise de ses manuscrits. Les comédiens semblent absolument perdus face à ces nouvelles pratiques agressives d’auteurs sûrs de leur succès et en mesure d’imposer leurs exigences. Le traité non respecté est dénoncé lors d’un procès, mais la Comédie préfère s’entendre à l’amiable avec ce trublion de la littérature.
En dépit de ces difficultés, le nom de Dumas fait venir le public. On joue donc Mademoiselle de Belle-Isle en 1839, Un mariage sous Louis XV en 1841, Lorenzino en 1842, Les Demoiselles de Saint-Cyr en 1843, Une fille du régent en 1846, Le Testament de César coécrit avec Jules Lacroix en 1849.

En 1847, Dumas ouvre sa propre salle, le Théâtre historique, casus belli qui clôt la collaboration avec la Comédie-Française, même si ce nouveau concurrent fermera trois ans plus tard.

En 1912, Antony entrera enfin au Répertoire de la Comédie-Française.

Agathe Sanjuan, conservatrice-archiviste de la Comédie-Française

04 December 2020

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