Clément Gaubert, réalisateur

Entretien avec Clément Gaubert, réalisateur des captations des Théâtres à la table

C’est au moment du deuxième confinement que le réalisateur Clément Gaubert est entré dans la danse du projet d’Éric Ruf de proposer des Théâtres à la table.
Chaque semaine, une équipe de comédiennes et de comédiens prépare en seulement cinq jours la création d'une pièce, dévoilant le travail de lecture préalable aux répétitions en scène, où naissent premières trouvailles et envolées. « La table dans son acception mélangée de travail, de concentration et de plaisir convivial et gustatif de boustifaille de mots », dit Éric Ruf, conviant les spectateurs « autour d'un repas de mots dans un exercice pour lui fragile et beau, pour nous excitant et dangereux. »

Pour Clément, le challenge est alors de monter une équipe en une semaine, de faire la réalisation et le montage en direct de la première pièce présentée, Bajazet de Racine par Éric Ruf au Studio Marigny pour une diffusion le lendemain sur le site et la chaîne YouTube de la Comédie-Française.

C’était un nouveau défi mais une expérience géniale, ce n’est pas une captation de pièce de théâtre classique, on fait un film autour d’une pièce qui est faite pour la vidéo.

Clément Gaubert
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« Les codes sont différents, dans les captations théâtrales tout est orienté vers le public. Là, on est autour d’une table, il y a des dialogues d’un côté et de l’autre des échanges qui peuvent intervenir dans tous les sens, je place donc des caméras tout autour de l’espace, pour être au plus près des comédiens et de leurs émotions. »

Pour cette première pièce filmée, il n’y a pas eu de filage, Clément et son équipe ont dû se lancer sans filet. « Ça a été assez difficile, des plans ont sauté, il y a eu des mouvements à l’antenne mais finalement ça participe au jeu et à l’expérience. C’était le premier Théâtre à la table et je suis resté dans l’état d’esprit d’Éric Ruf énoncé dès le départ, s’il y a des erreurs sur scène ou de cadre ce n’est pas grave et même tant mieux »

Les étapes de réalisation d'un Théâtre à la table

LUNDI
Premier jour de répétition, Clément est présent. En général, il s’entretient une semaine avant avec le directeur artistique de la pièce. « C’est important qu’il connaisse les possibilités, les marges de manœuvre, les déplacements possibles, et que je comprenne ce dont il a envie, les enjeux, s’il souhaite une ambiance intimiste ou quelque chose de très ouvert, le mobilier, le son, l’ajout de musique particulière, toute sorte de demande. On débroussaille tout ça au départ. De mon côté je me renseigne sur la pièce choisie, le texte, les captations existantes. »

Le lundi matin a souvent lieu, avant l’arrivée des comédiens, une première réunion technique, entre Clément, le directeur artistique, l’assistante à la mise en scène, l’éclairagiste et le régisseur. Ils discutent alors de toute la mise en place, du déroulement de la pièce, des interactions entre les comédiens, des déplacements, des différentes zones de dialogues, etc. « La chose la plus importante pour moi c’est de comprendre ce que le directeur artistique veut faire ressortir de la pièce et à partir de là je vais tout de suite penser à aux emplacements de caméras. Je sais que je vais avoir quatre cadreurs aux quatre coins de la pièce et je rajoute ensuite, une, deux ou trois caméras en fonction des besoins. Je tourne donc en général avec cinq à sept caméras. Comme pour Le Cid où ça demandait une configuration beaucoup plus importante parce que Denis Podalydès souhaitait avoir plusieurs espaces bien distincts. Ce n’était pas le plus simple mais pas la réalisation la moins intéressante non plus. Chaque pièce est très différente et a donc sa propre configuration, c’est passionnant à réaliser. »

Dès le lundi Clément commence à adapter les positions de caméras dans la perspective du tournage du vendredi. Il prépare un plan de tournage qui va évoluer toute la semaine.
Il filme l’arrivée des comédiens en répétitions et la présentation de l’intention du metteur en scène (extrait qui sera diffusé le soir même dans l’émission Quelle Comédie ! sur Facebook) puis il suit la première lecture qui lui donne une vue d’ensemble de la pièce.

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JEUDI
Les répétitions se poursuivent les jours suivants sans lui, il ne revient que le jeudi matin pour l’installation lumière. « Je travaille avec l’éclairagiste pour ajuster ce qui fonctionne à l’image. Le capteur de la caméra ne réagit pas comme l’œil. On adapte un petit peu les réglages en vue du tournage du lendemain. »
L’après-midi, se déroule un filage, la mise en espace est prête, Clément se balade et tourne autour des comédiens se mettant à tous les emplacements de caméras prévus, avec une caméra à la main il vérifie que tout fonctionne et il réajuste au besoin son plan de tournage. Parfois il prévoit des travellings qui permettent des déplacements rapides sans faire de bruit et qui peuvent ajouter des mouvements fluides agréables et esthétiques à l’image. Il peut également ajouter deux pieds à roulettes pour se déplacer un peu partout et, si la pièce le permet, il ajoute une caméra portable pour être au plus près des comédiens.
Le jeudi soir, après avoir terminé son plan de tournage, il l’envoie à son équipe avec un brief de la journée du lendemain.
« Mon équipe est prévue bien en amont, je fidélise pas mal les personnes avec qui je travaille, je fonctionne avec quatre cadreurs sur les Théâtres à la table classiques, deux pour les seuls-en-scène. Pour le projet des Cinq Premières Minutes Il y avait cinq cadreurs, deux travellings, un opérateur grue. Le travail était plus conséquent et le but était de ne pas voir les entrées et les sorties des comédiens. »

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VENDREDI
« C’est un peu la grosse journée, on arrive à 10h, mon équipe et moi (quatre cadreurs, un ingénieur du son, un assistant son et un responsable technique). On est très souvent huit. pour l’installation des caméras, des travellings, du son. »
Clément fait des tests, commence à aller voir chaque membre de son équipe pour lui expliquer ce qu’il va devoir faire en fonction de sa place.

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L’installation dure environ quatre heures. Les comédiens arrivent ensuite, on leur installe les micros pour le dernier filage qui sera filmé.
« C’est très important pour moi que le filage puisse être filmé parce que c’est là où toute l'équipe technique découvre la pièce et les particularités, les contraintes, les déplacements etc. En général, le rendu du filage est assez catastrophique, c’est tout à fait normal et il est fait pour ça. Je préviens toujours le metteur en scène en lui disant qu’il va voir un peu n’importe quoi, et que le principe c’est que tout le monde se cale, de ne pas s’inquiéter. »

L’assistante à la mise en scène devient alors la scripte et se place à côté de Clément en régie, elle doit annoncer tous les moments importants, certains déplacements, les entrées de certains personnages à l’image, etc., c’est une précieuse alliée pour Clément mais également pour les cadreurs qui entendent ses indications dans leurs oreillettes.

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Le tournage se déroule en fin de journée.
« Les cadreurs sont en place, avec leurs oreillettes, moi je suis en régie et je passe mon temps à leur parler, avec l’assistante à la mise en scène. Je reste très concentré sur ma réalisation, j’ai énormément de choses auxquelles penser simultanément, ce qui se dit, ce qui se passe et surtout je dois être très focalisé sur le programme, ce qui est à l’antenne et ce qui va être réellement diffusé. Nous sommes dans les conditions du direct et je réalise en direct. »

Clément se place devant un écran avec plusieurs fenêtres, il voit l’ensemble du programme, ce qui va réellement passer à l’antenne et toutes les autres caméras. Pendant toute la durée de la pièce, il guide tous les cadreurs, leurs mouvements, ce qu’ils doivent faire. Ils ont des codes, des habitudes, et fonctionnent d’une manière assez précise.

« Je travaille avec une machine qui s’appelle un mélangeur. Il y a ce qui passe à l’antenne et le preview, ce que je prépare. C’est comme du direct. Sur cette barre programme les cadreurs voient, sur leur téléphone ou sur leur écran de caméra, les moments où ils sont à l’antenne. S’ils voient la lumière rouge, ils savent que c’est à leur tour de jouer et la lumière verte qu'ils doivent préparer leur mouvement. »

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Une fois le tournage terminé, Clément récupère toutes les images. (L’ensemble des caméras est enregistré). Il prépare les images de début et de fin du film et envoie sa réalisation pour la diffusion ainsi que les prévisions pour le générique.

Une réalisation sensible

Clément va réaliser à son rythme, une fois toute la vision du directeur artistique assimilée et va ensuite se laisser guider par sa propre sensibilité pour réaliser.

Il y a forcément quelque chose de très subjectif dans la réalisation qui n’est pas contrôlé par le metteur en scène ou le directeur artistique. Je fais mes réalisations au ressenti

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« Je demande d’ailleurs au directeur artistique de ne pas parler pendant la représentation. Je reçois toutes ses indications et son avis avant le tournage, tant qu’il veut. Mais pendant la représentation je ne peux être concentré que sur les indications de la scripte, ce qui se passe pendant la pièce et tout ce que je raconte aux cadreurs et ce que je vois à l’antenne. Je ne peux pas absorber plus d’informations que cela.
Je ne place donc pas les directeurs artistiques à côté de moi en régie parce qu’ils peuvent être perturbés par tous les écrans, toutes les possibilités d’images affichées. Il peut y avoir par exemple un magnifique plan qui va traduire une émotion très belle indépendamment des autres plans et du programme mais qui ne va pas du tout coller avec la réalisation que je suis en train de faire, qui manquera de cohérence avec les plans précédents et ça peut rendre fou un metteur en scène qui ne comprendra pas pourquoi on ne l’utilise pas.»

Le réalisateur, lui, se laisse parfois surprendre par l’émotion des comédiens et ce qui l’intéresse est de le faire ressentir à l’écran.

« Par exemple sur L’École des femmes mise en scène par Coraly Zahonero, j’étais déjà assez ému par cette pièce en tant que telle, et les comédiens ont été extrêmement émouvants dans leur jeu, j’étais particulièrement impressionné par le jeu de Thierry Hancisse et les réactions d’Adeline d’Hermy. Et j’ai eu l’impression que la mayonnaise a bien pris entre le placement des cadreurs, le jeu des comédiens, la lumière qui était extrêmement belle. Je trouvais que c’était une des pièces qui fonctionnaient le mieux dans tout ce que l’on avait préparé, c’est un bon résumé en tout cas des Théâtres à la table dans ce qui se fait de bien. »

Collaborer avec la troupe de la Comédie-Française

Aujourd’hui, Clément a eu la chance de pouvoir travailler avec presque l’ensemble des comédiens de la Troupe.
« C’est très agréable de travailler avec la Troupe que je découvre, je suis très privilégié à ce niveau-là et j’en suis très heureux. Les collaborations avec les différents directeurs artistiques qui changent chaque semaine ont été très enrichissantes. Tous me font confiance, Éric Ruf le premier, et je l’en remercie énormément. Il a fait le pari de miser sur moi dès le début alors qu’on ne se connaissait pas du tout. »

Finalement ces tournages, c’est un objet théâtral qui n’existait pas vraiment, une autre façon de montrer les spectacles. C’est beaucoup plus intimiste.

Clément Gaubert

« Dans ces lectures, ce que je dis aux metteurs en scène et aux comédiens, l’importance, c’est la présence de leurs regards. Dans ma réalisation, je ne vais d’ailleurs pas suivre celui qui parle en permanence mais être davantage sur les réactions des personnes qui écoutent, certaines vont personnellement me toucher parce que ça raconte bien sûr quelque chose et ce choix sera forcément subjectif. Les comédiens de la Troupe sont extrêmement bons ils savent bien jouer l’écoute. Je trouve que c’est une des forces de ces Théâtres à la table. C’est vraiment une nouvelle forme de captation, sans tout réinventer. Cette aventure me passionne tellement. »

Le prochain défi, c’est Le Soulier de satin de Paul Claudel joué en intégralité et découpé en quatre Théâtres à la table.
« Il y a une énorme distribution, je suis ravi. Pour la première journée j’ai déjà une petite idée des emplacements de caméras. J’ai prévu une caméra portable pour être au plus près des comédiens entre lesquels il va y avoir beaucoup d’interactions.
Il y aura un musicien sur scène, Vincent Leterme, au piano, qui fera le lien entre différentes scènes. Ce Théâtre à la table sera joué sur le plateau de la Salle Richelieu, une première pour moi ».

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Clément adorerait pouvoir continuer à développer cette formule, sur du spectacle vivant toujours, mais pourquoi pas aussi pour de la danse ou des concerts.

19 April 2021

Théâtre à la table

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