Entretien autour de la mise en scène

« Le Bourgeois gentilhomme » de Molière Mise en scène Valérie Lesort et Christian Hecq du 18 juin au 25 juillet 2021 Salle Richelieu

ENTRETIEN AVEC VALÉRIE LESORT ET CHRISTIAN HECQ, MISE EN SCÈNE

  • Laurent Muhleisen. Vous signez conjointement la mise en scène d’une nouvelle production de cette comédie-ballet de Molière, que devient, dans votre version, la musique de Lully ?

Valérie Lesort. Nous gardons, à quelques écarts près, la partition de Lully, mais dans une transposition de Mich Ochowiak et Ivica Bogdanić. Les airs seront reconnaissables.

Christian Hecq. Nous avons abordé la pièce en partant de la musique : nous trouvions que le style baroque, aussi beau soit-il, ne dynamisait pas, ne rendait pas compte du rythme propre de cette comédie.

Valérie Lesort. L’alternance entre certaines scènes très enlevées et une certaine pompe propre au baroque nous semblait alourdir le propos.

Christian Hecq. Précisons que nous n’avons pas gardé les ballets, simplement les airs…

Valérie Lesort. Essentiellement, ceux qui servent l’intrigue.

Christian Hecq. On reconnaitra par exemple l’ouverture, mais elle sera, disons, plus vivifiante que l’originale.

L’ensemble de cette transposition est largement inspiré par la musique des Balkans… Une musique propre à mettre le public en éveil.

Christian Hecq et Valérie Lesort
  • Laurent Muhleisen. Quel impact cette transposition a-t-elle sur votre mise en scène ?

Christian Hecq. Nous avons rapidement été amenés à nous interroger sur le monde dont le spectacle rendait ainsi compte. Nous nous sommes retrouvés déportés dans une sorte d’univers parallèle…

Valérie Lesort. … d’inspiration balkanique, certes, mais qui se mêle à l’époque de Molière. La mise en scène ne comportera pas d’anachronismes. Elle se déroule simplement dans un monde décalé.

Christian Hecq. De même en travaillant avec Vanessa Sannino, qui signe les costumes, nous nous sommes rapprochés d’éléments rappelant Games of Thrones, ou Poudlard dans Harry Potter

Valérie Lesort. … tous ces films dits fantasy où l’on ne sait pas vraiment à quelle époque on est, ni dans quel monde, ni même dans quelle galaxie.
Parallèlement à notre approche de la musique, il y avait aussi nos idées visuelles, à commencer par le théâtre noir propre à la marionnette. Si le lyrisme de la musique justifie parfois un certain onirisme, il fallait aussi pouvoir justifier l’apparition, dans certaines scènes, de drôles de créatures qui s’ébattent.

L’atmosphère de ce Bourgeois gentilhomme sera parfois assez magique

Valérie Lesort

Christian Hecq. Et cette dimension magique ne semble pas extraordinaire aux personnages de la pièce. Elle fait partie de leur monde.

Valérie Lesort. Nous aimons créer, dans nos spectacles, des personnages aux traits accentués, en « surimpression de couleur » ; l’opéra, grâce à la musique, permet souvent cela.

Nous aimons créer, dans nos spectacles, des personnages aux traits accentués, en « surimpression de couleur » ; l’opéra, grâce à la musique, permet souvent cela.

Valérie Lesort

C’est ce type de personnage que Christian crée souvent sur scène, et nous ne voulions évidemment pas qu’il soit le seul dans ce cas dans cette mise en scène.

  • Laurent Muhleisen. Dans quel décor vit ce bourgeois - ce fils de tapissier habitué à travailler de ses mains, qui rêve d’ascension sociale, d’approcher la Cour, les nobles, les gens bien nés ?

Christian Hecq. Le décor a d’abord été dicté par des nécessités techniques. Comme dans 20 000 lieues sous les mers, si l’on veut que le comédien qui manipule un objet ou une marionnette soit invisible, il faut non seulement qu’il soit vêtu de velours noir, que la lumière soit très rasante, mais aussi que tout ce qui se trouve derrière lui soit pratiquement noir Éric Ruf avait donc comme consigne de créer le décor le plus sombre possible. Il a pour cela travaillé sur des effets de matière, de relief…

Valérie Lesort.…un peu comme chez Soulages : un noir qui accroche la lumière, un noir vivant.

Christian Hecq. En somme, c’est un univers qui colle assez bien avec l’atmosphère un peu austère, laborieuse, pour ne pas dire protestante qui peut régner dans un intérieur bourgeois. Mais comme ce bourgeois est un manuel qui rêve de dorures, il a passé son temps, en cachette de sa femme et de sa fille, à bricoler de petits systèmes qui vont servir à « dorer » progressivement son intérieur, en prévision de la visite tant attendue de la marquise dont il est amoureux. Quand la marquise fera son entrée, le décor sera ainsi complètement doré.

Valérie Lesort. Dès que la noblesse mettra le pied dans cet espace, il brillera de toute pard Monsieur Jourdain est une sorte de facteur cheval, il a un côté extrêmement poétique. Et comme il est fan de musique des Balkans et de cuivres, il en a collectionné de grandes quantités qui lui ont servi à fabriquer ses panneaux dorés, par compression, un peu comme chez le sculpteur César. L’idée vient d’Éric Ruf.

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  • Laurent Muhleisen. Qui est monsieur Jourdain, pour vous ? Comment abordez-vous ce personnage par rapport à votre esthétique de jeu, proche du clown poétique ?

Pour moi, monsieur Jourdain n’est pas un contre-emploi, je me sens proche de lui, parce qu’il est habité par des rêves d’enfant, des rêves naïfs ; ce sont des éléments que nous utilisons beaucoup dans nos spectacles, Valérie et moi.

Christian Hecq

En tant que comédien, ma source d’inspiration principale est l’enfance. Les rêves d’enfant sont les plus puissants parce qu’ils ne sont pas encore abîmés par la contrainte de l’éducation, les normes imposées. Ce sont des rêves purs.

Valérie Lesort. En plus, ce bourgeois a une vraie soif d’apprendre. Nous l’abordons de façon plus poétique que ridicule. Certes, ce n’est pas un foudre d’intelligence, il est un peu soupe au lait, n’a pas d’inhibitions, mais tout au long de la pièce, il est sincère, incapable de mentir, et n’en sera que plus touchant, attendrissant, à la fin, quand il se rendra compte que tout le monde s’est moqué de lui.

Christian Hecq. Je me trouve finalement pas mal de points en commun avec monsieur Jourdain : comme lui, j’aime la musique (sans être un grand musicien), et je jouerai même un peu avec les musiciens présents sur scène pour impressionner la marquise, j’adore danser, faire de l’escrime, et je me sens terriblement déplacé dans les soirées mondaines (mais à la différence de monsieur Jourdain, j’en ai conscience !). Quand je danse, c’est avec passion, avec tout mon cœur, même si c’est toujours un peu « à côté », ou de mauvais goût. Si l’on veut jouer le ridicule, il faut le faire avec conviction, de toute son âme.

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  • Laurent Muhleisen. Votre façon de travailler fait aussi beaucoup appel à la gestuelle des acteurs.

Nous aimons beaucoup chorégraphier nos mouvements ; rien n’est laissé au hasard. Pour ce spectacle, nous imposons des personnages assez forts aux comédiens, rien que dans les silhouettes que nous avons trouvées avec Vanessa Sannino ; tout est assez « marqué ».

Valérie Lesort
  • Laurent Muhleisen. Où traquez-vous le comique ? Qu’est-ce qui provoque le rire dans la pièce ?

Valérie Lesort. C’est ce contraste, je crois, entre la très grande intégrité du bourgeois et ce qu’il est amené à faire. Mais tous les personnages de la pièce ont leur lot de ridicule, il n’y en a pas un pour sauver l’autre, à part peut-être les jeunes amoureux...

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Christian Hecq. Le fait qu’il n’ait pas les codes, et qu’il ne comprenne absolument pas ce que veulent dire les nobles qu’il invite, bien qu’ils utilisent la même langue. Mais ce qui est comique également, c’est la conviction que les autres mettent à lui faire faire des choses insensées, absurdes, comme ces « a », ces « e » et ces « i » que lui fait travailler le maître de philosophie. Tous les maîtres ont une passion un peu jusqu’au-boutiste de leur art. Ils sont un peu cyniques avec M. Jourdain, bien, sûr, mais ce ne sont pas des crapules. Personne n’est tout noir ou tout blanc dans le monde des bourgeois.

  • Laurent Muhleisen. Quelle sorte de relations monsieur Jourdain a-t-il avec les siens, sa famille, ses domestiques ?

Christian Hecq. Madame Jourdain est extrêmement austère, deux fois plus grande que son mari – qui a très peur d’elle –avec un côté mante religieuse, castratrice. Les tenues des serviteurs sont elles aussi assorties d’un écusson mais avec le visage de M. Jourdain, puisque leur fonction est d’être à son service. Ils sont vêtus de façon assez pompeuse, puisqu’ils servent aussi un faire-valoir...

Valérie Lesort.... et ils sont chauves, pour ne pas éveiller la jalousie de leur maître. Cléonte et Lucile ont un petit côté punk gothique.

Christian Hecq. Chez les domestiques, Covielle, qui est le déclencheur de l’énorme plaisanterie faite à monsieur Jourdain, a selon moi un côté sale gamin, pervers, voire sadique. Il se fiche de tout, c’est un manipulateur sans scrupules.

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  • Laurent Muhleisen. Le Bourgeois gentilhomme est notamment célèbre pour sa « turquerie » finale. Comment l’articulez-vous par rapport à vos choix de mise en scène ?

Valérie Lesort. Dans la pièce de Molière, nous n’avons jamais compris d’où sortaient ces superbes costumes de Turcs au moment de la scène de mystification de monsieur Jourdain. Les bourgeois avaient-ils donc chez eux des armoires remplies des costumes de Turcs ? Et comme tout ce stratagème est mis en place très vite, nous avons imaginé que ces costumes allaient être faits de bric et de broc, avec ce que les comploteurs ont sous la main : un abat-jour, des fruits et légumes, des petites cuillères, des ustensiles de ménage. Le tout sera extrêmement réussi, si bien que monsieur Jourdain n’y verra que du feu – tellement il veut y croire ! Ce n’est qu’en y regardant de plus près qu’on verra la supercherie. Quand monsieur Jourdain s’en apercevra, il en sera extrêmement meurtri. Notre Bourgeois gentilhomme ne se termine pas vraiment sur un « happy end ».

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Entretien réalisé par Laurent Muhleisen
Conseiller littéraire de la Comédie-Française
avril 2021

Reportage photos © Christophe Raynaud de Lage

17 June 2021

Le Bourgeois gentilhomme

  • Lunettes connectées disponibles à la Salle Richelieu

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