L'Heureux Stratagème par Emmanuel Daumas

« L'Heureux Stratagème » de Marivaux. Du 19 septembre au 4 novembre 2018, au Théâtre du Vieux-Colombier.

Une comtesse s’entiche d’un chevalier et assume ses nouvelles amours avec une liberté de cœur déconcertante. Emmanuel Daumas tisse un cocon aussi fragile que protecteur pour ce marivaudage monté pour la première fois à la Comédie-Française.

L'histoire par Emmanuel Daumas

C’est l’histoire d’une jeune femme, une comtesse, engagée dans une relation amoureuse avec Dorante, et qui tombe amoureuse d’un autre homme, le Chevalier. Elle est libre et l’affirme, clame son désir d’être infidèle. De profiter de sa jeunesse. De pouvoir vivre son histoire avec le Chevalier gascon sans se soucier de la douleur de Dorante, qui ne la veut que pour lui, qui l’aime à la folie, le dit trop et finit par en être ennuyeux. Alors, la Marquise abandonnée par le Chevalier va proposer à Dorante, lui même abandonné par la Comtesse, un stratagème. Ils vont contrefaire une passion fulgurante, allant jusqu’au mariage, pour se venger, en excitant la jalousie des deux autres.

La Comtesse fera l’expérience du « marivaudage » : l’impossibilité de se connaître, de nommer, de dire qui l’on est. L’impossibilité de savoir ce que l’on veut, ni celui que l’on désire.

L’inconstance de l’amour, la fragilité des sentiments, les « intermittences du cœur », la souffrance de l’abandon, de la perte. Les premières angoisses de mourir.

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Entretien avec le metteur en scène

Pour votre troisième mise en scène à la Comédie-Française, qu’est-ce qui vous a amené à cette pièce si peu connue de Marivaux ?

J’avais envie de profiter de la connivence au sein de la Troupe pour comprendre comment jouer Marivaux. Ce théâtre pour les acteurs. Ces répliques truffées de réflexions métaphysiques écrites pour des comédiens italiens formés à la commedia dell’arte. Ces comédies où les personnages n’arrêtent pas de pleurer. Ces conversations où personne ne dit ce qu’il pense, ne pense ce qu’il sent, ne sent ce qu’il désire, ne désire ce qu’il dit.

Fasciné par la cohérence et l’acharnement de ce poète des Lumières – qui n’a fait que travailler sur l’ombre de l’être humain –, j’ai lu toute son oeuvre.

Parmi les textes jamais joués au Français, j’ai eu un coup de foudre pour L’Heureux Stratagème. Une pièce vierge de tout élément narratif propre à l’Ancien Régime : pas de mariage arrangé ni d’histoire de dot. Un personnage prône l’amour libre. C’est une femme, donc on l’en empêche. Et, en trois actes, on tue l’enfance en elle. Elle connaîtra la douleur, le désarroi, la panique, la perte de sens. Une « Madame Bovary » en devenir !

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Dans quelle mesure cette pièce résonne-t-elle pour un public d’aujourd’hui ?

Pour moi tout est moderne, en tout cas absolument pas dépassé. Une jeune fille qui assume son « don juanisme » avec une conscience de la mort et un ciel suffisamment vide pour qu’elle en arrive à affirmer que la monogamie est artificielle, la fidélité artificielle, et la constance une question de tempérament.
Nous sommes juste deux générations avant la Révolution. Les personnages sont les parents de Merteuil (Laclos) et de Justine (Sade), et les grands-parents de ceux qui finiront sans tête.

C'est une société non sans rapport avec la nôtre. Nous avons l’illusion de devoir inventer une vie d’après le modèle bourgeois du xixe siècle, comme la société de Marivaux devait se réinventer après l’ordre religieux, noyé dans « la montée de l’insignifiance » tel que l’a nommé Castoriadis. Une société où la jeunesse croit qu’elle peut fabriquer un nouveau modèle loin de celui de ses parents, pris dans d’autres croyances et d’autres modèles économiques. Tout en disposant d’un prolétariat encore…obéissant.

Une époque « bénie » qui semble s’intéresser plutôt aux mystères et à la singularité des hommes (riches). Une époque où les angoisses n’ont pas de garde-fous.

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La pièce va se jouer dans un dispositif bifrontal, et dans un décor de papier à l’évidente fragilité. Qu’est-ce que la scénographie traduit de vos intentions de mise en scène ?

Je voulais travailler sur les émotions. La rapidité avec laquelle elles peuvent changer.

La force et la violence de la libido. Les gouffres de la jalousie ou de la dépossession. C’est d’autant plus fin et passionnant chez Marivaux, quand la parole contredit ce que les personnages pensent. Quand elle tente d’éclaircir et qu’elle brouille. Quand elle n’est plus que de l’énergie agissante sur le cœur de l’interlocuteur. C’est du jeu. Du jeu pur. Les personnages comme les acteurs jouent, se jouent et sont joués. Le public aussi. « Il faut être joué pour qu’il y ait comédie » écrit Michel Deguy.

J’avais envie que les spectateurs soient au plus près des acteurs, des visages et, des corps, d’où le choix du dispositif bifrontal.

Ensuite la fragilité, le papier, le blanc, c’est pour pouvoir charger le moins possible, autour du mystère, du secret des personnages/acteurs. Il faut laisser de l’espace, de l’air, du souffle.
Que les comédiens aient la place de proposer juste un croquis, un essai, une esquisse et beaucoup de mobilité. Du plein et du vide. J’ai beaucoup pensé aux toiles de Cy Twombly. Aux traces. À la fragilité de l’histoire, des histoires. Un monde très élaboré, très dérisoire, dont il ne reste que quelques signes, de la matière qui ne signifie rien de plus que ce qu’elle est.

De l’émotion liée à la précision et à la perfection des gestes que le hasard fabrique. Le moment.

Et puis le monde de Marivaux est fragile. Condamné. Marivaux ne le savait peut être pas, mais il(s) n’en avai(en)t plus pour longtemps.

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  • Photos © Christophe Raynaud de Lage
Article publié le 03 juillet 2018
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