Notes sur l'univers visuel par Johanna Boyé

Casse-Noisette ou le Royaume de la nuit,
Librement inspiré du conte d’E. T. A. Hoffmann,
Adaptation Johanna Boyé et Élisabeth Ventura, mise en scène Johanna Boyé,
du 26 novembre 2025 au 4 janvier2026 au Théâtre du Vieux-Colombier

Cette version moderne et rock du conte, en contrepied du ballet de Tchaïkovski, est rythmée par des chansons. J’ai travaillé́ avec l’équipe artistique, à la scénographie, aux costumes, à la lumière, au son et à la musique, pour mêler le fantastique, la poésie et l’humour. Ainsi, l’univers visuel renforce la truculence des protagonistes pour dresser une galerie de créatures hors du commun. Les monstres deviennent des figures facétieuses et attachantes !
Dans ses rêves, Clara pénètre avec Casse-Noisette dans le monde des Pirlipates et des jouets qui s’animent. Leur rencontre avec la princesse Pirlipatine signe le début d’une amitié́ et un apprentissage commun : tirer la force de sa singularité́. Ce conte initiatique pose des questions essentielles : comment cultiver l’imaginaire pour y forger les outils de sa liberté́ ? Comment vivre avec ses blessures ? Comment accepter le regard des autres sur sa différence ?

Le monde réel et celui des rêves se côtoient, s’effleurent, se mélangent. La scénographie reprend le principe cinématographique du fondu enchainé́ : les éléments du Royaume des Pirlipates apparaissent progressivement dans le monde réel, qui lui s’estompe...
L’arrivée de Dame Mauserink dans le salon est précédée par l’apparition de dizaines de paires d’yeux rouges qui brillent dans la nuit. Les souris se faufilent, puis des pattes fantasmagoriques envahissent (en vidéo) tout l’espace.
Clara et Casse-Noisette se réfugient dans l’armoire, sorte de cabinet de curiosités, dotée d’une porte secrète. C’est un passage vers l’inconnu, lieu de tous les possibles. Une bascule du décor intervient alors : le mur et l’armoire sont remontés dans les cintres dans un jeu de va-et-vient ; les accessoires apparaissent et disparaissent, comme par magie, accompagnés de musique.
Nos inspirations visuelles sont tirées des univers de David Lynch et Tim Burton. La scénographe Caroline Mexme a inventé́ un espace qui met en avant l’imaginaire du théâtre : l’espace se transforme au gré́ des aventures de nos héros, les rideaux s’ouvrent sur des cuisines fumantes, la cour d’un procès, un banquet royal...

Héros maladroit, poétique et touchant, Casse-Noisette est entre l’homme et le jouet, entre le vivant et la sculpture.
Nous l’avons réinventé́ sous la forme d’un automate, qui est l’œuvre d’une machinerie exceptionnelle conçue par Drosselmeyer, l’oncle de Clara. Nous sommes partis du phénomène de la mue et avons imaginé́ une sorte de « sarcophage » qui entoure la moitié du corps du comédien : cette seconde peau reste en scène, tenant toute seule lorsqu’il la quitte. Nous jouons avec la nature hybride de ce personnage fantastique en faisant entendre ses rouages grâce à un petit émetteur caché dans le costume. L’acteur, qui est aussi percussionniste, pourra s’amuser à faire retentir sa mécanique interne.

L’art du Kintsugi (kin : or ; tsugi : joindre)
Parmi nos inspirations autour du thème de la réparation, l’art du Kintsugi a été central. Cet art japonais, qui date de la période Muromachi (XIVe-XVIe siècles), a pour vertu de réparer les bols cassés avec des feuilles d’or : en remplissant les aspérités et fêlures avec de l’or, il s’agit de redonner une seconde vie à l’objet, en le rendant encore plus beau.

Drosselmeyer est vêtu d’un grand manteau qu’il ne quitte jamais ! Il contient de nombreux objets, notamment des outils pour fabriquer, mais aussi pour réparer. Ce manteau, dessiné comme l’ensemble des costumes par Marion Rebmann, lui confère un côté à la fois mystérieux et farfelu.
Clara porte une attelle, témoin de l’accident qu’elle a subi petite. Outre sa cicatrice, cette attelle la rapproche de Casse-Noisette et des automates que son oncle fabrique. Dans la deuxième partie, elle se libère de ses entraves physiques et psychologiques (en effet, elle ne boite plus au Royaume des Pirlipates !), jusqu’à son retour dans le monde réel où elle accepte de ne plus avoir besoin d’attelle, et de sortir de chez elle.

Les costumes de ces créatures fantastiques mêlent des éléments propres à la royauté́ (culottes bouffantes, perruques, jabots, bas...) et d’autres plus modernes (paillettes, chaussures fines...).
Ils sont tous agrémentés d’éléments de cuisine, véritables armoiries des Pirlipates. Les acteurs et actrices (à part Clara) jouent plusieurs rôles et sont ainsi amenés à se changer très rapidement pour incarner leurs différents personnages. Un détail ajouté ou enlevé́ leur suffit parfois à passer de l’un à l’autre, augmentant la dimension ludique de cet univers tourné vers l’imaginaire.

Personnage haut en couleurs, la Fée Dragée en a marre des enfants et de leurs petits problèmes !
Elle préfèrerait s’atteler à résoudre d’importantes problématiques politiques. Son costume est très décalé́. Elle est rock et punk, avec des cheveux décolorés, un tutu de toutes les couleurs, des gants résille noirs et des bottines qui lui donnent une allure et un style libres et affirmés.

Le texte de la pièce est publié́ à L’avant-scène théâtre.