Les adaptations de romans à la Comédie-Française
Dès l’Antiquité, les mythes nourrissent le théâtre puis les nouvelles, récits et faits divers inspirent les dramaturges avant que les normes théâtrales établies au XVIIe siècle ne rigidifient les frontières entre les genres. Les écrivains qui, au XIXe siècle, trouvent dans le roman une forme d’expression privilégiée cherchent, par une bénéfique contagion du romantisme, à libérer le théâtre des conventions classiques. Les adaptations théâtrales sont plus nombreuses à partir de l’époque romantique qui marque la « romanisation » du drame. Les scènes privées sont les premières touchées, puis la Comédie-Française, théâtre de répertoire. Des premières adaptations au milieu du XIXe siècle à cette saison, présentant quatre spectacles tirés de romans (Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan, Mémoire de fille d’Annie Ernaux, Le Côté de Guermantes de Marcel Proust et Gabriel, roman dialogué de George Sand) l’évolution des rapports entre le romanesque et la théâtralité dessinent trois grands courants qui se succèdent.
L’une des premières adaptations jouées à la Comédie-Française est Mademoiselle de La Seiglière de Jules Sandeau (1851) tiré du roman du même nom. Régnier de La Brière collabore à cette réécriture ainsi qu’à celle de Jean de Thommeray de Jules Sandeau. Mis à part le dénouement, la pièce est « le roman-même » de Mademoiselle de La Seiglière pour Le Temps, plus sévère avec Jean de Thommeray qu’il considère comme une « amplification plutôt malheureuse d’un conte qui eût gagné à ne point passer sur la scène ». N’est pas dramaturge tout romancier qui le veut. Pour certains critiques, ce genre, davantage que le théâtre, permet à l’imagination de Sandeau de se déployer librement. Les auteurs Erckmann et Chatrian adaptent eux-mêmes L’Ami Fritz, joué la première fois au Français en 1876 avant d’être repris pendant la première moitié du XXe siècle.
Lors de cette première vague d’adaptations scéniques, le romancier s’attèle souvent personnellement à la réécriture. Encouragée par Augustine Brohan (sociétaire de la Comédie-Française) qui a tenu un rôle dans sa petite pièce Le roi attend écrite pour célébrer la République en 1848, George Sand se lance dans l’écriture dramatique et l’adaptation de ses romans. L’expérience malheureuse de La Petite Fadette la persuade, malgré la difficulté de cette tâche, d’interdire à quiconque de « s’emparer » de son travail pour l’adapter : « Si l’on me disait que c’est un travail de paresseux, qui se dispense d’inventer, je répondrais que ceux qui parlent ainsi n’ont jamais mis la main à un pareil travail. Il est intéressant parce qu’il est difficile, et cette seconde création est beaucoup plus délicate et plus raisonnée que la première. » D’autres, avant elle, ont transformé leurs romans en pièces de théâtre mais George Sand est l’une des premières à s’intéresser à ce travail de transposition. Souvent réticent envers celui-ci, Théophile Gautier apprécie l’adaptation de François le Champi par son autrice, joué d’abord à l’Odéon, sous la direction de l’ancien sociétaire Bocage, puis au Français en 1888. La volontaire porosité des genres dans son roman dialogué Gabriel, non destiné à la scène, l’amène cette saison sur celle du Théâtre du Vieux-Colombier dans une mise en scène de Laurent Delvert qui adapte le texte avec Aurélien Hamardi-Padis.
Les versions scéniques par une tierce personne, affranchie de toute collaboration avec le romancier deviennent plus fréquentes que les « auto-adaptations » à partir de la seconde moitié du XIXe siècle (Le Lys dans la vallée de Balzac en 1853). Loin devant Ludovic Halévy, Maurice Barrès et Victor Hugo, Balzac se taille la part du lion au Français entre 1853 et 1936 avec quatre adaptations. Conscient qu’une pièce de théâtre était plus lucrative qu’un roman grâce aux droits de représentation, Balzac répartit ainsi entre plusieurs collaborateurs l’écriture de Vautrin, pièce de théâtre dont le titre reprend le nom du personnage du Père Goriot, destinée en 1840 au Théâtre de la Porte Saint Martin : « Nous allons bâcler le dramorama pour toucher la monnaie. J’ai une échéance chargée. Voilà comment j’ai arrangé la chose […]. Un acte de drame n’a pas plus de quatre ou cinq cents lignes. On peut faire cinq cents lignes de dialogue dans la journée et dans la nuit.» Censuré après sa création suite à une hardiesse de son interprète principal Frédérick Lemaître, Vautrin sera joué à la Comédie-Française en 1922 dans une autre version, celle d’Edmond Guiraud. Malgré sa connaissance du monde théâtral et son ambition affichée d’être un dramaturge égal au romancier, le précurseur du naturalisme peine à s’affirmer au théâtre et ses adaptateurs ont tendance à édulcorer son œuvre romanesque plus subversive. En portant ses adaptations à la scène à partir de 1911, la Comédie-Française est représentative du succès public que rencontre enfin Balzac, notamment sous la plume heureuse d’Émile Fabre, adaptateur de La Rabouilleuse en 1936.
Dostoïevski, l’un des auteurs les plus adaptés en France au XXe siècle, supplante Balzac à la Comédie-Française avec quatre pièces entre 1963 et 2021. Si l’auteur russe n’encourageait ni ne pratiquait l’adaptation ̶ particulièrement délicate dans son œuvre ̶ , sa théâtralité intrinsèque inspire le spectacle vivant dont le rapport à la littérature évolue. Les quatre pièces jouées au Français sont représentatives de l’évolution des pratiques. La fidélité recherchée par l’adaptateur Gabriel Arout dont le texte préexiste au spectacle (Crime et châtiment en 1963, L’Idiot en 1975) s’efface devant l’étroite collaboration entre l’adapteur et le metteur en scène dont la vision dramaturgique devient prédominante (Simon Eine pour L’Éternel Mari adapté par Victor Haïm en 1985 et Guy Cassiers pour Les Démons adapté par Erwin Mortier en 2021).
Depuis une dizaine d’années, ce n’est plus le texte qui est dramatisé mais sa présentation par le metteur en scène qui, le plus souvent, conserve la forme du roman. Désormais, la scène semble se conformer à celui-ci, en conservant par exemple le récit dans le discours. L’œuvre, aussi narrative soit-elle comme Le Côté de Guermantes de Proust (2020), ne constitue pas un obstacle à des metteurs en scène tel que Christophe Honoré qui se l’approprie dans son ambitieux projet repris cette saison. Hormis de rares cas comme Dostoïevski qui est adapté par un dramaturge, les auteurs sont maintenant, le plus souvent, adaptés par des metteurs en scène qui prennent en charge le texte : Gontcharov (Oblomov adapté par Volodia Serre en 2013), Jules Verne (20 000 lieues sous les mers adapté par Christian Hecq et Valérie Lesort en 2015), Lola Lafon (Nadia C. adapté par Chloé Dabert en 2016), Jack London (Construire un feu adapté par Marc Lainé en 2018), Leïla Slimani (Chanson douce adapté par Pauline Bayle en 2019), Hector Malot (Sans famille adapté par Léna Bréban en 2020). De plus, l'auteur ou l'autrice, aussi contemporain soit-il, tel que Leïla Slimani jouée en 2019, soit trois ans après la publication de son roman Chanson douce, n’entrave pas pour autant la liberté du metteur en scène : « Ce qui m’intéresse ce n’est pas une supposée fidélité à mon œuvre, mais au contraire la torsion qu’une main extérieure peut lui imprimer. »
Nul doute que, cette saison encore, l’attrait pour une écriture, comme celle d’Annie Ernaux dont L’Événement fit l’objet d’un Singulis en 2017, donnera matière à des spectacles faisant du terme « adaptation » non pas un exercice de style mais une ouverture sur un imaginaire en admiration.
— Visuel : Le Côté de Guermantes de Proust, mise en scène de Christophe Honoré, Théâtre de Marigny, 2020, avec Mickaël Pelissier, Camille Seitz, Stéphane Varupenne, Sébastien Pouderoux, Rebecca Marder, Romain Gonzalez
Photo ©Jean-Louis Fernandez, coll. Comédie-Française
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