Philoclès
Regnier

255e sociétaire

Entré à la Comédie-Française en 1831 ; sociétaire en 1835 ; retraité en 1871 ; doyen de 1865 à 1871.

L'une des figures les plus attachantes de la troupe au XIXe siècle, acteur de talent, fin lettré, homme de théâtre dans tous les sens du terme, François-Joseph Philoclès Regnier de la Brière, dit Philoclès Regnier, est le fils de Madame Tousez, sociétaire de la Comédie-Française. Il fait de bonnes études chez les oratoriens, se destine à l'architecture, mais, après avoir échoué à un concours, il préfère monter sur les planches, qu'il a déjà connues à l'âge de quatre ans, figurant le Roi de Rome dans un à-propos donné à l'Odéon en 1811.

Sans passer par le Conservatoire, muni seulement des conseils de Baptiste aîné, il fait le dur apprentissage de la vie de comédien de province, à Metz et à Nantes, avant d'être engagé au théâtre du Palais-Royal, dont le directeur se rend très vite compte qu'il fait fausse route et le pousse à entrer à la Comédie-Française.
Il débute en 1831 dans le rôle de Figaro, du Mariage de Figaro puis du Barbier de Séville. Son engagement de pensionnaire porte : « les premiers, seconds, troisièmes et quatrièmes comiques et les utilités », c'est dire combien est souple son talent et vaste son registre. En effet, sans grandes particularités physiques, Regnier est un comédien qui, à force de travail et d'intelligence, donne la vie la plus vraie à ses personnages. Spirituel sans vulgarité, il incarne avec finesse les grands valets du répertoire (Scapin, Crispin, Frontin, Dubois, Pasquin, Mascarille et Sganarelle...), mais n'hésite pas à jouer Grippe-Soleil du Mariage de Figaro ou Dubois du Misanthrope quand l'exige le service de la troupe.
Sociétaire en 1835, il se montre d'une grande efficacité dans le répertoire moderne, où il interprète toutes sortes de rôles, notamment dans les œuvres de Scribe (de Bertrand et Raton à Feu Lionel en passant par La Camaraderie, Une chaîne, Oscar, Bataille de dames, Adrienne Lecouvreur, etc.), d'Alexandre Dumas (Les Demoiselles de Saint-Cyr, Une fille du Régent...), d'Octave Feuillet (Péril en la demeure), d'Auguste Vacquerie (Jean Baudry), de Labiche (Moi !)... Émile Augier lui doit des interprétations exemplaires dans Gabrielle, L’Aventurière (rôle d'Annibal), Les Effrontés.
Il est touchant dans le rôle du vieux serviteur Noël dans La joie fait peur de Madame de Girardin. Passé maître dans la composition des rôles « en habit noir » dans la comédie de genre, il n'en néglige pas pour autant le répertoire, joue Sosie dans Amphitryon, Monsieur Jourdain du Bourgeois gentilhomme... Il collabore avec de très nombreux auteurs (Dumas, Feuillet, Madame de Girardin...) et tout particulièrement avec Jules Sandeau pour Mademoiselle de la Seiglière, où il crée le rôle de Destournelles, avant de prendre, à la fin de sa carrière – ce sera son dernier rôle – celui du marquis de la Seiglière.

Avec Paul Foucher, il écrit plusieurs pièces (dont La Joconde, créée à la Comédie-Française en 1855). Cultivé et curieux de l'histoire du théâtre, il consulte les archives de la Comédie-Française, collabore au Monde dramatique, financé par son ami Gérard de Nerval, et y publie, pour la première fois, des extraits du Registre de La Grange, enfin retrouvé. Un des tout premiers « moliéristes », il est le principal artisan de l'érection de la fontaine Molière à l'angle de la rue de Richelieu. En 1847, il met en scène le texte original du Dom Juan de Molière (où il joue Pierrot), texte auquel la Comédie-Française avait substitué jusqu'alors la version en vers de Thomas Corneille.
Il fait aussi entrer dans les collections de la Comédie-Française le célèbre tableau des Farceurs français et italiens. Il est l'auteur de l'article Histoire du théâtre en France dans une encyclopédie intitulée Patria et l'on publiera après sa mort ses Souvenirs et études de théâtre.
Professeur au Conservatoire en 1854, il forme les Coquelin – Aîné et Cadet –, Boucher, Prud'hon, Mesdemoiselles Reichenberg, Édile Riquer, Émilie Broisat, Lloyd, Tholer, Dinah Félix... Lorsque, en 1871, il décide de quitter la scène – après avoir interprété 251 rôles –, on lui fait une représentation de retraite triomphale. Deux ans plus tard, il est nommé directeur de la scène, jusqu'en 1875, et exercera les mêmes fonctions à l'Opéra en 1879.
Il fut un des comédiens français préférés des Anglais et s'est produit régulièrement au théâtre Saint James de Londres. Estimé et honoré de tous – on lui fit même frapper une médaille –, cet homme discret mais efficace exerça au sein de la troupe une influence intellectuelle prépondérante.

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