D'Angélique à Toinette par Julie Sicard

Le spectacle du « Malade imaginaire » de Molière créé en 2001 par Claude Stratz est repris au Théâtre des Champs-Elysées pour les vacances de Noël.

« L’épure initiale de Claude était forte et tragique, son spectacle crépusculaire et dense – les fraises des médecins, les clystères mais avant tout le désir obsédant de contrefaire la mort, de faire le mort, d’entendre post mortem ce qu’on pense de nous, de pouvoir séparer le grain de l’ivraie. Vieux fantasme taraudant mais toujours vivace. J’ai souvent remarqué – et le parallèle est pertinent aussi s’agissant d’architecture – que lorsque l’équation initiale d’un spectacle est aussi justement posée, alors la distribution peut être entièrement remaniée, chaque nouvel impétrant épousant avec évidence ce qui a été premièrement énoncé. » ÉRIC RUF

Julie Sicard, qui a fait ses premiers pas dans la Troupe en jouant le rôle d'Angélique, à la création en 2001, a depuis repris celui de Toinette. Elle partage avec nous ses impressions sur ce spectacle qui dépasse aujourd'hui les 500 représentations.

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Je suis entrée à la Comédie-Française pour jouer le rôle d’Angélique à la création du spectacle en 2001. Le hasard veut qu’au départ, ce rôle devait être confié à Coraly Zahonero, qui finalement n’était pas libre, et qui aujourd’hui joue le rôle de Béline, lequel avait été créé par Catherine Sauval. Auparavant, j’avais déjà joué au Français en tant qu’élève stagiaire, aux côtés d’Alain Pralon ; quant à Catherine Hiegel – la Toinette de Claude Stratz, qui elle-même avait joué Angélique dans la mise en scène de Robert Manuel. Elle avait été mon professeur au Conservatoire. Grâce à eux j’ai passé l’audition. Je les soupçonne d’ailleurs d’avoir un peu insisté auprès de Claude puisque quand il m’a vue, il a d’abord trouvé que je n’étais pas « assez jolie » pour jouer la jeune première auprès d’Éric Ruf ! L’ironie du sort veut même qu’au cours des répétitions, il lui arrivait de me dire que parfois il pressentait trop Toinette derrière mon Angélique ! Sans doute avait-il peur de cela du fait que j’étais une ancienne élève de Catherine et que nous avions une relation très « mère-fille ». Malheureusement, Claude n’a jamais su que par la suite, j’ai effectivement fini par jouer Toinette…

Claude Stratz était un extraordinaire directeur d’acteur. Aujourd’hui encore, je me souviens de tout ce qu’il disait, de toutes les indications qu’il m’a données. Cela est très utile dans les discussions que j’ai avec Élissa Alloula, qui reprend aujourd’hui le rôle d’Angélique et qui n’a jamais joué de jeune première auparavant.

Ce qui est magnifique, c’est que Claude, ami et assistant de Patrice Chéreau, a monté ce Malade imaginaire de façon «classique» et en même temps complètement intemporelle. Si le spectacle n’a pas vieilli, même après 21 ans, c’est je crois grâce au rapport honnête que Claude avait à l’œuvre de Molière.

Sa lecture de la pièce ne différait pas de celle de pièces contemporaines ; il s’agissait pour lui d’être au plus près de ce qui est dit et écrit, dans l’immédiateté qui caractérise le rapport qu’on a aux textes d’aujourd’hui.

L’aspect très crépusculaire que Claude a donné à la mise en scène de son Malade était passionnant à travailler. C’est celui-ci que nous essayons de retrouver dans cette reprise, car au fil des années, le spectacle s’était trop « éclairé » au gré des tournées et des reprises de rôles. C’est l’imminence de la mort, ce côté sombre, qui intéressaient Claude dans la pièce ; il y a de quoi, quand on songe que Molière lui-même est mort quatre jours après avoir créé le rôle du Malade.

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Jouer avec Catherine Hiegel était évident : le rapport maternel de Toinette et Angélique, nous l’avions déjà. Il a fallu bien sûr modifier ce rapport quand le rôle de Toinette a été repris par Muriel Mayette-Holtz ; Toinette est devenue une grande sœur. C’est un luxe, dans une carrière, de pouvoir changer de rôle dans un même spectacle ; du fait de connaître les deux rôles, je sais ce qu’attend Angélique de Toinette et vice versa. Aujourd’hui ce qui est particulier dans cette reprise, c’est que les anciennes Toinette ne sont plus dans la Maison, je n’ai plus le regard de mes aînées sur cet héritage qui m’a été légué et je vais sans doute pouvoir m’approprier davantage de choses encore.

J’ai créé ma Toinette en même temps que Gérard Giroudon créait son Argan, au Théâtre éphémère. Ensuite, nous sommes partis en tournée, et il n’y avait pas d’Angélique disponible dans la Troupe. On m’a donc demandé de « repasser » au rôle de la jeune première, ce que j’ai fait avec beaucoup de plaisir. J’ai pu à cette occasion vérifier et précis ; il n’y a pas eu de « contamination » d’un rôle par l’autre. En voyant aujourd’hui Élissa travailler Angélique et en l’aidant du mieux que je peux, je retrouve le travail de Claude, l’idée précise qu’il avait de cette jeune amoureuse et de son chemin vers une certaine émancipation. À travers Angélique, Élissa partage, je crois, les mêmes défis que moi à la création : il y a une excitation particulière à entrer dans cette forme stricte, ce canon classique qu’est la jeune première de Molière lorsqu’on est une jeune fille d’aujourd’hui. C’est le travail avec Claude qui m’a permis de voir à quel point une « jeune première » pouvait être concrète, vivante, aimer et souffrir d’une façon organique, viscérale. Angélique est entière et entièrement dans l’émotion.

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Avoir joué Angélique et Toinette dans Le Malade m’a permis de comprendre que c’est Angélique qui porte le drame, et que Toinette n’est pas qu’un rôle comique. Il était intéressant d’avoir déjà connu la douleur d’Angélique pour pouvoir ensuite, en tant que Toinette, la comprendre et l’aider ; je sais par où elle passe. Et de l’autre côté, la relation entre Toinette et Argan est insoupçonnable du point de vue d’Angélique, cette relation de « vieux couple ». Toinette jouit d’une liberté interdite à Angélique.

Pour finir, je peux dire que si mon expérience dans cette mise en scène est particulière, c’est aussi parce que ma fille y a joué le rôle de Louison. J’avais un trac fou pour elle, si bien que pendant le spectacle je m’inquiétais pour Angélique, (jouée alors par Claire de La Rüe du Can) pour Toinette (que je jouais moi-même) et pour Louison ! J’avais l’impression d’avoir une triple partition dans la tête.

Jouer un spectacle sur une durée aussi longue et dans deux rôles différents a aussi ceci de remarquable qu’on finit par connaître le texte de tout le monde et la mise en scène par cœur. Je me surprends d’ailleurs, au cours de cette reprise, à défendre certains détails, parfaitement gravés dans ma mémoire, et qui selon moi participent à retrouver la couleur d’origine du spectacle.

Propos recueillis en septembre 2019 par Laurent Muhleisen,
conseiller littéraire de la Comédie-Française.

Photos © Brigitte Enguérand et © Christophe Raynaud de Lage

Article publié le 21 décembre 2023
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