En pleine course

« Les Forçats de la route » d'Albert Londres. Singulis - Seul-en-scène. Conception et interprétation Nicolas Lormeau. Du 21 février au 11 mars 2018, Studio-Théâtre.

LE SPECTACLE

« Nous marchons à la "dynamite" » confie l'un des frères Pélissier à Albert Londres au café de la gare de Coutances lors de la troisième étape du Tour de France 1924. Le journaliste, considéré comme un maître de la profession à qui il offrit ses lettres de noblesse, rend publiques ces paroles dans un article intitulé « L'abandon des Pélissier ou les martyrs de la route ». Étape après étape de cette course déjà extrêmement populaire à l’époque, ce novice en cyclisme rencontre les coureurs, vedettes ou inconnus. C’est avec la même intransigeance que dans ses reportages sur la guerre de 14-18 ou le bagne de Cayenne qu’il couvre la « grande boucle ». Il raconte la poussière, la boue, les crevaisons, les crampes, les départs en pleine nuit et les multiples pilules et anesthésiants… et témoigne de l’inhumanité des conditions auxquelles les coureurs sont soumis, des incohérences du règlement : « On s’habitue à tout, il suffit de suivre le Tour de France pour que la folie vous semble un état de nature ».

« Ils n’avaient pas de dérailleur ! » lance Nicolas Lormeau, féru de vélo, amoureux du style avec lequel Albert Londres rend compte de l’actualité, fasciné par l’incroyable réalité des faits. Il a reproduit le tracé des quelque 5 425 km des 15 étapes de l’époque, retrouvé les noms de l’ensemble des participants, s’est lui-même chronométré en montée, et a conçu un rocambolesque conte théâtral. On y retrouve Albert Londres alors qu’il dicte depuis une petite chambre d’hôtel miteuse ses articles à son journal. Accompagné de la musique de Bertrand Maillot et de projections d’archives, le comédien seul en scène nous entraîne dans un tumulte de sensations, sur les chemins de montagne du mythique Tour de France.

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Photo : Vincent Pontet

EXTRAITS DES « FORÇATS DE LA ROUTE »

  • LE SPORT DEVIENT FOU FURIEUX

– Eh bien ! tout ça – et vous n’avez rien vu, attendez les Pyrénées, c’est le hard labour – tout ça, nous l’encaissons…
Ce que nous ne ferions pas faire à des mulets, nous le faisons. On n’est pas des fainéants mais, au nom de Dieu, qu’on ne nous embête pas. Nous acceptons le tourment, nous ne voulons pas de vexations ! je m’appelle Pélissier et non Azor !… J’ai un journal sur le ventre, je suis parti avec, il faut que j’arrive avec. Si je le jette, pénalisation !…
Quand nous crevons de soif, avant de tendre notre bidon à l’eau qui coule, on doit s’assurer que ce n’est pas quelqu’un, à cinquante mètres qui la pompe. Autrement : pénalisation. Pour boire, il faut pomper soi-même ! Un jour viendra où l’on nous mettra du plomb dans les poches, parce que l’on trouvera que Dieu a fait l’homme trop léger. Si l’on continue sur cette pente, il n’y aura bientôt que des « clochards » et plus d’artistes. Le sport devient fou furieux…

Coutances, 27 juin 1924

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  • EH BIEN ! ILS DORMENT ?

Il fait trop chaud, le Créateur n’est pas raisonnable, il va faire mourir ses hommes. Je les devance, j’arrive aux Sables, ils ont quatre cent douze kilomètres dans les jambes, ce qui fait d’ailleurs mille cinq cent soixante avec les précédents ; ils ont le soleil, ils ont la poussière, ils ont les fesses en selle depuis deux heures du matin, il est six heures trente du soir ; dans une dernière souffrance, ils font un dernier effort pour l’arrivée. La foule fatiguée me crie : « Eh bien ! ils dorment ? »

Les Sables-d’Olonne, 28 juin 1924

  • L'ACCIDENT DE TOULON

C’est arrivé après La Ciotat. Huot menant le train prend sa roue dans un rail et tombe. Nous venions derrière lui. D’un coup de volant, nous l’évitons. La poussière bouchait la vue à un mètre. Une voiture suivait et traîne Huot. Voilà le fait.
Et voici la cause.
Ce qui eut lieu aujourd’hui, de Perpignan à Toulon, ne fut pas une course, mais un acte de véritable folie populaire. Cent kilomètres avant Toulon, le Midi amena sur la route la totalité de ses véhicules. Debout dans ces voitures, les gens trépignaient, dansaient et poussaient des hurlements. Plus personne n’avait figure humaine ; ces fous semblaient sortir d’un sac de farine.
Après trois cents kilomètres et la traversée de la Crau à midi, les coureurs tombèrent là-dedans ; c’était pitoyable. Ils étaient projetés, cernés, embouteillés ; la rage dans la gorge, ils criaient :
– Place ! Place ! Attention, par pitié !
– C’est de l’assassinat !
La foule hurlait plus fort. Cette foule était en toilette du dimanche, en habit de toile bleue et jusque en caleçon de laine. Il y avait des gens dans des voitures de déménagement, dans des camionnettes commerciales, en side-car, à bicyclette et, si le moment était joyeux, nous dirions qu’on avait sorti jusqu’aux vieux chevaux mécaniques…
Les courses sont l’amusement du public. Il ne faut cependant pas les confondre avec une corrida. Les coureurs ne sont pas des taureaux, il ne doit pas y avoir tentative de mise à mort à la fin du spectacle. Le prodigieux, c’est que l’accident ne soit arrivé qu’à la septième étape.
Hier, nous signalions qu’un routier, se voyant barré dans une descente par des automobilistes, leur avait crié :
– Bandits ! Bandits !
Huot, ce soir, n’a pu que gémir, le sang à la bouche.
– Oh ! là là !
Il est à l’hôpital.
Les coureurs sont exaspérés.
Bellenger, qui ne prononce jamais un mot déplacé, dit tout haut :
– C’est à nous rendre méchants. Si j’avais eu un revolver, j’en tuais un…
Il reste encore sept étapes, des mesures de précaution s’imposent.
Ce sont des prix que l’on a promis à ces garçons, et non des civières.

Toulon, 6 juillet 1924

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  • VOUS POUVEZ VENIR LES VOIR

Vous pouvez venir les voir, ce ne sont pas des fainéants. Pendant un mois, ils se sont battus avec la route. Les batailles avaient lieu en pleine nuit, au petit matin, sous le coup de midi, à tâtons, dans le brouillard qui donne des coliques, contre le vent debout qui les couche par côté, sous le soleil qui voulait, comme dans la Crau, les assommer sur leur guidon. Ils ont empoigné les Pyrénées et les Alpes. Ils montaient en selle un soir, à dix heures et n’en redescendaient que le lendemain soir, à six heures, ainsi que l’on put le constater des Sables-d’Olonne à Bayonne, par exemple.
Ils allaient sur la route qui n’était pas à eux. On leur barrait le chemin. À leur nez, on fermait les passages à niveau. Les vaches, les oies, les chiens, les hommes se jetaient dans leurs jambes. Ce n’était pas le grand supplice. Le grand supplice les a pris au départ et les mènera jusqu’à Paris. Il s’agit des autos. Trente jours durant, ces voitures ont raboté la route sur le flanc des coureurs. Elles l’ont rabotée en montant, elles l’ont rabotée en descendant. Cela faisait d’immenses copeaux de poussière. Les yeux brûlés, la bouche desséchée ils ont supporté la poussière sans rien dire.
Ils ont roulé sur du silex. Ils ont avalé les gros pavés du Nord. Les nuits, quand il faisait trop froid, ils s’entouraient le ventre de vieux journaux : dans la journée, ils se jetaient des brocs d’eau sur leur corps tout habillé. Ainsi ils arrosaient la route jusqu’à ce que le soleil eût séché leur maillot.

20 juillet 1924

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Albert Londres avec Maurice Ville et les frères Pélissier, Coutances, 1924.

LE TOUR EXPLIQUÉ EN QUATRE ÉTAPES

  • À L'ORIGINE

La première édition du Tour de France a lieu en 1903, organisée par Henri Desgrange et Géo Lefèvre, avec notamment pour intention d’élargir les ventes du journal L’Auto, ancêtre de L’Équipe.
Depuis, la compétition a lieu chaque année, excepté lors de la Première Guerre mondiale (de 1915 à 1918 inclus) et de la Seconde (de 1940 à 1946 inclus).
Le Tour de France est actuellement organisé par ASO (Amaury Sport Organisation).

  • LE(S) VAINQUEUR(S) ET LE CLASSEMENT GÉNÉRAL

Le classement général du Tour de France est calculé au fur et à mesure des étapes : à l’issue de chacune d’elles, on additionne les temps réalisés depuis le début pour chaque coureur, le gagnant du Tour est celui qui obtient le temps total le plus bas. En cas d'égalité, on tient compte des centièmes de secondes sur les temps effectués lors des contre-la-montre.
D’autre part, tout au long du Tour un vainqueur d’étape est désigné sur le temps effectué à chacune d'entre elles.

  • LE CONTRE-LA-MONTRE

Le contre-la-montre est un type d'étape en individuel, un des exercices les plus exigeants et décisifs du Tour. Les coureurs y affrontent le chronomètre dans un effort solitaire, après s'être lancés l'un après l'autre à deux minutes d’intervalle. Cette épreuve peut faire basculer le classement général d’un coureur.

  • LE MAILLOT JAUNE

À l’issue de chaque étape, le coureur ayant le temps cumulé le plus bas a le privilège de porter le maillot jaune durant l’étape suivante. Durant la course, le porteur de maillot n’est donc pas le vainqueur d’étape, mais celui qui a obtenu le meilleur temps cumulé depuis le début de la course.
À la fin du Tour, le leader du classement général, donc le gagnant du Tour, aura lui l’honneur de porter le maillot jaune jusqu’à la prochaine édition.
Le premier maillot jaune est apparu en 1919, soit seize ans après la création du Tour de France. Le jaune fait référence aux couleurs des pages du journal L’Auto, ancêtre de L’Équipe.

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1924 - 2016 : FOCUS SUR LES COMPTEURS

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Spectacle du 21 février au 11 mars 2018, Studio-Théâtre. Infos et réservations.

Article publié le 15 février 2018
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Les Forçats de la route

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