La Double Inconstance par Anne Kessler

Élève d'Antoine Vitez à Chaillot, c’est avec cette pièce que j’ai rencontré Marivaux, et en l’aimant j’ai compris que son théâtre allait bien au-delà des mots. Pour rendre compte de la force de l’œuvre,il faut dépasser la musique du texte, surmonter l’émerveillement de la phrase et parvenir, avec les acteurs, au sens. Bien souvent, on ne le perçoit qu’en situation de jeu. Chez ce maître du théâtre, l’expérience est au cœur du processus de création et, plus encore, elle est l’objet de l’œuvre.

La Double Inconstance propose de soumettre le couple le plus uni, le plus solide, le plus homogène, le plus amoureux à une somme de contraintes sociales et psychologiques pour mesurer sa résistance et déterminer la position de son point de rupture. Pour l’intérêt de l’expérience, il est essentiel que rien dans son protocole – c’est-à-dire dans la mise en scène – ne soit artificiel. Il faut donc laisser progresser l’histoire malgré nous, ne pas « raconter » et créer les conditions favorables à l’expression des phrases de l’auteur. En reconstituant les situations extrêmes auxquelles sont soumis les héros de la pièce, il faut amener les acteurs à retrouver les réactions impulsives des personnages. C’est la situation qui détermine la vérité d’une réplique, le fait qu’on l’« entende ».

Le siècle de Marivaux est celui de la science, celui de la volonté affirmée de comprendre un monde complexe pour énoncer clairement les règles qui le régissent. L’auteur dramatique va prendre sa part du travail pour atteindre cet objectif. On est passé de l’acteur- roi à l’auteur - roi.

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Dans La Double Inconstance, maîtres et valets s’expriment à peu près de la même façon. Cette forme d’égalité rend compte de l’effet miroir de la pièce, et souligne les situations doubles qui la traversent. Il ne s’agit pas d’une pièce dont le thème est l’inné et l’acquis ; nous sommes ici dans une pastorale idyllique
où s’accordent dans l’amour puissants et serviteurs. « Idyllique » désigne pour moi une forme d’abstraction. Le réalisme n’est pas ici une garantie de vérité.
Ce que la pièce doit nous apprendre c’est que nous sommes moins les valets de nos maîtres que ceux de nos sentiments. C’est ce que nous enseigne l’expérience en nous montrant, dans le spectacle, les personnages perdre pied peu à peu.

Cette « psycho-chimie » n’est pas affranchie des contraintes des sciences exactes. Il lui faut des catalyseurs. Ici, c’est le Prince qui en fait fonction : sans lui, pas de réaction. Au terme de l’expérience, si les autres personnages sont profondément transformés, le Prince, qui est pourtant passé par de nombreux états d’âmes contradictoires, revient à sa position première.

Je crois qu’avec La Double Inconstance, Marivaux veut raconter l’histoire d’un complot ; or rien ne ressemble davantage à un complot que la création d’un spectacle. On y complote pour le bonheur du spectateur. Il me semblait également qu’il pouvait y avoir un lien entre les préparatifs d’un mariage et les
préparatifs d’un spectacle.
Le rôle du théâtre, selon Marivaux, est de décrire sans dénoncer, d’exposer sans juger, d’observer sans trahir et surtout de révéler sans chercher à convaincre. La science dramatique est un humanisme.

Le décor de Jacques Gabel montre le foyer des artistes, comme une petite place où l’on assiste à la transformation de l’acteur en personnage. Le spectacle joue un double jeu en proposant une
scénographie qui utilise un lieu de répétition, un lieu du XVIIIe siècle, mais un lieu d’aujourd’hui. Pour moi, cela exprime le fait que c’est à la Comédie-Française que cette pièce est montée ; je veux montrer des acteurs de la troupe en train de répéter un spectacle pour des spectateurs d’aujourd’hui. Des spectateurs
d’un monde qui lui aussi se complexifie.
Ainsi, les costumes ne seront prêts qu’à la toute fin de la représentation, au moment où le spectacle est sur le point d’avoir lieu : ce spectacle, c’est le mariage du Prince avec Silvia, d’Arlequin avec Flaminia. Un mariage double, comme est double l’inconstance qui fait le titre de la pièce.

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Propos recueillis par Laurent Muhleisen

Article publié le 16 juin 2017
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