Les Démons

d’après Fiodor Dostoïevski adaptation Erwin Mortier, traduction Marie Hooghe mise en scène Guy Cassiers Du 22 septembre 2021 au 16 janvier 2022, Salle Richelieu.

L'auteur

Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski naît le 11 novembre 1821 à Moscou. Il a une dizaine d’années lorsque sa mère succombe à la tuberculose. Son père l’envoie ainsi que son frère aîné dans des internats avant de les orienter vers une carrière militaire. À l’armée, Fiodor s’attèle à la traduction d’Eugénie Grandet puis démissionne pour se consacrer à l’écriture de son premier roman Les Pauvres Gens paru en 1846. Le plébiscite public et celui des cercles littéraires est immédiat. Les deux livres suivants ne rencontrent pas le succès escompté. En 1847, il fréquente le cercle de Mikhaïl Petrachevski, fervent opposant à Nikolaï 1er mais qui n’a jamais intenté une quelconque action militaire. Deux ans plus tard, Fiodor est arrêté, condamné à mort pour participation à un complot politique, gracié et exilé dans un bagne en Sibérie où il restera quatre ans. Sa chute sociale est inversement proportionnelle à son ascension spirituelle née le jour où une femme lui tend une bible dont il ne se séparera jamais. Redevenu simple soldat, Dostoïevski quitte l’armée pour écrire. Sujet à des crises d’épilepsie, couvert de dettes accumulées par sa passion maladive du jeu, il se réfugie en Europe où sa santé se détériore tandis que son aversion pour l’Occident et sa démocratie enfle. Son amour immodéré pour la Russie et son peuple, l’existence de Dieu, la conscience politique et l’irrationalité de la passion font la substance de son œuvre romanesque. Dostoïevski s’éteint à Saint-Pétersbourg le 9 février 1881 des suites d’une hémorragie, laissant derrière lui des romans puissants qui ont fait date. On lui doit notamment Crime et Châtiment en 1861, L’Idiot en 1869, Les Démons en 1872 et Les Frères Karamazov en 1880.


Le contexte historique

Dostoïevski puise ici son inspiration dans le procès intenté au groupement de Sergueï Netchaïev, un révolutionnaire nihiliste qui recourait à la violence pour concrétiser ses objectifs politiques. L’auteur disait de son roman qu’il était un pamphlet dénonçant une telle idéologie et dirigé d'une part contre les révolutionnaires et d'autre part contre l'aristocratie devenue un vivier du socialisme en s'éloignant du peuple russe et de la foi orthodoxe. Tous ces individus étaient pour lui des « démons » perturbant l'ordre établi, semant le chaos en Russie, embarrassant les autorités et démoralisant la jeunesse.
Les Démons évoquent des faits historiques précis mais l'analyse de Dostoïevski va au-delà et appuie que le nihilisme a été l'une des sources de la modernité. Au moment de sa parution, le roman a suscité des critiques impitoyables jugeant les personnages échappés d’un asile d'aliénés. Albert Camus, auteur d’une adaptation dramatique des Démons, considérait de son côté l’auteur comme un visionnaire :

Pour moi, Dostoïevski est d’abord l’écrivain qui, bien avant Nietzsche, a su discerner le nihilisme contemporain, le définir, prédire ses suites monstrueuses, et tenter d’indiquer les voies du salut. [...] Nous savons à présent que les héros de Dostoïevski ne sont pas d'étranges créatures absurdes – nous leur ressemblons, nous partageons une même âme

Albert Camus

L'histoire

Le récit se déroule dans un chef-lieu dont le nom n'est pas précisé mais symbolisant la Russie entière. Plombée par la pluie, la neige et l'obscurité, l’ambiance s'accorde à l'atmosphère de déclin qui teinte l'ensemble. La génération des anciens – représentée par Stépane Verkhovenski, un intellectuel qui fait prévaloir une gloire passée, et son amie et mécène de toujours Varvara Stavroguina – se retrouve confrontée à ses descendants, d’une part Nikolaï, un bel homme qui a séduit Dacha la fille adoptive de Varvara, Liza, richissime jeune femme qui a des velléités littéraires et enfin Maria, une femme mystique et perturbée qu’il a épousée dans des circonstances mystérieuses ; et, d’autre part, son ami Piotr, fils de Stépane, nihiliste de la première heure qui projette de détruire la société russe. Conscient du charisme de Nikolaï, Piotr ambitionne d’en faire le leader de sa cellule révolutionnaire et terroriste dont les liens doivent être resserrés par la commission d’un crime. Afin d’écarter toute possibilité d’union entre Dacha et son fils qu’elle préfère voir convoler avec la riche Liza, Varvara projette de marier la jeune fille à Stépane qui est bien plus âgé. Lorsque Stépane comprend qu’il s’est fourvoyé dans ses convictions politiques, il embrasse de nouveau la foi orthodoxe, demande l'absolution et meurt. Il a été possédé tout comme la Russie, elle-même rongée par de malins démons : l'athéisme, le nihilisme et le matérialisme. Le pire criminel, Piotr, s’éclipse et son crime reste impuni. Ce qui subsiste est un monde amorphe où les anciens idéaux ont été démasqués en tant qu’illusions naïves et où la violence de la jeune génération n’a pas encore fait naître de nouvelles valeurs.

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Entretien avec Guy Cassiers, mise en scène

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Laurent Muhleisen. Comme la plupart des grands romans de Dostoïevski, Les Démons sont une œuvre extrêmement polyphonique, juxtaposant, entrecroisant récits, analyses, descriptions... L’auteur, pour le résumer grossièrement, y règle ses comptes avec le nihilisme, un courant très virulent dans la Russie des années 1860. Quelles sont les thématiques qui ont servi de point de départ à l’adaptation d’Erwin Mortier, à la réflexion dramaturgique que vous avez menée avec Erwin Jans, et à votre travail de mise en scène ?

Guy Cassiers. Oui, l’œuvre est polyphonique ; c’est-à-dire qu’on y entend un chœur où chaque voix a sa propre ligne distincte des autres ; Dostoïevski est un maître absolu dans cet art. Et ce que je souhaite dans le spectacle, c’est que le public trouve son propre chemin entre ces voix et ces idées en perpétuel combat les unes avec les autres. Il est impossible de distinguer le propre chemin ou les propres idées de Dostoïevski au milieu de toutes ces voix ; aucun personnage ne le représente complètement. Il construit un véritable dialogue qui doit permettre au lecteur de réfléchir à une société qui fonctionne mal. Mais le point sur lequel il se focalise est en effet le nihilisme ; comment survient-il, quels en sont les dangers ? Autant de questions qui font écho à bien des situations que nous vivons à notre époque. L’Europe, le monde entier même, traversent une période historique où les idéalismes, les idées philosophiques ou politiques ne constituent plus des références, des points de repère pour les membres du corps social. Le grand danger est que ces moments d’incertitude, où les gens ne trouvent pas de réponses à leurs questions, laissent le champ libre à des individus qui profitent de la situation pour annoncer qu’il faut tout détruire qui se gardent bien de proposer des alternatives, de nouvelles idéologies, des solutions concrètes et se contentent de dire : « Grâce à moi tout va changer, je sauverai le monde de la décadence et réglerai tous vos problèmes. » Le phénomène du populisme s’accompagne toujours du culte de la personnalité. À tous les phénomènes de ce genre qui ont jalonné le XXe siècle, succèdent aujourd’hui des Donald Trump, Vladimir Poutine, Xi Jinping et consorts, et la recette demeure inchangée. C’est cette spirale négative que Dostoïevski décrit de façon extrêmement fine dans Les Démons. On parle beaucoup de terrorisme aujourd’hui, et l’on est prompt à dénoncer toutes sortes de menaces venues de l’extérieur. Ce faisant, on ne pense jamais au fait que le vrai terrorisme vient de l’intérieur, du cœur de notre société ; il est domestique, ce qui le rend d’autant plus dangereux. À ma connaissance, Dostoïevski est le premier auteur moderne à parler de cette réalité-là du terrorisme.

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Laurent Muhleisen. Qui dit populisme et manipulation, dit également ressentiment. L’un des ressorts de l’action des Démons est le conflit entre deux générations, celle de Stépane Verkhovenski et Varvara Stavroguina d’un côté, et celle de leurs enfants Piotr et Nikolaï de l’autre... Mais c’est aussi le conflit entre les valeurs de l’Europe et celles de la Russie « éternelle ».

Guy Cassiers. La force de Dostoïevski dans Les Démons est d’émailler son récit d’innombrables petites anecdotes impliquant ses personnages, comme dans un soap – même s’il s’agit d’un soap « intellectuel » ; ce qui est compréhensible, puisque le roman a d’abord paru sous forme de feuilleton dans la presse et qu’il fallait toujours finir sur une note de suspense, tout en collant à l’actualité – en l’occurrence, un procès intenté, à cette époque, à un groupe de terroristes nihilistes. Dans ce contexte, l’un des ingrédients les plus efficaces pour séduire et captiver le lecteur, le faire entrer dans le récit, c’est de raconter des histoires de famille. Dostoïevski met donc en scène deux générations, les pères et les fils, pour réfléchir à la société de son temps, si proche de la nôtre. La génération des pères, qui n’a jamais fait que parler, est devenue stérile, elle n’a rien produit de concret, ce que dénonce la génération des fils, laquelle, de son côté, refuse de prendre la moindre responsabilité pour travailler à un nouveau modèle. Au sein même de la cellule familiale, on voit donc se mettre en place un processus de destruction, de déconstruction. C’est ce processus de déconstruction que nous essayons de reproduire sur scène, physiquement, à partir de l’environnement dans lequel les personnages évoluent.
Ce qui est intéressant, c’est que Dostoïevski construit également sa fiction en y mêlant des réflexions sur les rapports de la Russie avec l’Europe occidentale – autre sujet ô combien d’actualité. On y retrouve la méfiance ou la peur face au modèle social occidental qui aspire toujours à plus de progrès, de richesse – quitte, comme Icare, à se brûler les ailes – et dont la métaphore est, dans notre spectacle, le Crystal Palace de Londres.

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Laurent Muhleisen. Les Démons décrivent un monde qui se détruit de l’intérieur, à l’endroit même où il se croit protégé. Comment cet élément scénographique qu’est le Crystal Palace accompagne-t-il ce mouvement ?

Guy Cassiers. Le Crystal Palace symbolisait pour Dostoïevski le danger d’une civilisation qui va trop loin, qui n’est plus humaine. Il représente une impasse, ce que le philosophe allemand Peter Sloterdijk analyse aujourd’hui comme « la fin de l’Histoire ». Alors, même si cela ne semble pas être le cas, ce Palais de cristal évoque pour moi, au début du spectacle, un espace vide. Nous allons, dans cet espace, créer beaucoup d’images, qui sont toutes des illusions. Ces images sont créées en direct, mais ce qu’elles représentent n’est, physiquement, pas là ; il s’agit du monde de Varvara et de Stépane, qui fonctionne de manière hyperréaliste. Sur ces images, les personnages se parlent comme s’ils étaient dans un monde virtuel. La jeune génération viendra détruire ce code. Au départ, donc, tout est en verre, avec à la fois un effet de transparence et de miroir.
Dans cet espace, chaque personnage est vu sous un seul angle (dans la polyphonie, chacun a sa propre voix, sa propre vérité), et l’on peut bien sûr voir les angles de tous les autres personnages. Mais cet espace est aussi peuplé de caméras qui, simultanément, offrent un point de vue différent sur chaque personnage. Le public est invité à entrer dans un monde – le monde ancien – qui semble riche, ouvert, léger, agréable, bien qu’il ne soit qu’une construction mensongère. En réalité, sur scène, ce monde n’existe déjà plus, et tout le monde porte un masque. Grâce à l’effet d’illusion des images filmées en direct, le spectateur croit que les personnages se parlent les yeux dans les yeux, alors qu’en même temps il les voit, sur le plateau, se tourner le dos. Chaque personnage semble ainsi isolé dans son propre monde, imperméable aux idées des autres qui pourraient l’enrichir ; il est à la fois dans sa réalité et dans la construction de soi-même, construction filmée et projetée sur de grands panneaux. Ce procédé invite le public à s’identifier à ce monde illusoire, d’autant plus qu’il peut s’amuser à observer la manière dont les images sont fabriquées ; il pourra se laisser séduire par la façon dont la magie opère, il « marchera ». Avec les acteurs, nous avons d’ailleurs déjà trouvé, je crois, cette dimension comique bien présente au début du roman (on a tendance à oublier que Dostoïevski sait aussi être drôle), et qui va renforcer ce procédé d’identification. Mais progressivement, ce même public va se trouver confronté à la nouvelle génération, celle qui affirme que plus rien de ce monde n’est vrai, ne fonctionne, et qu’il
faut tout détruire. Il est alors immanquablement amené à se demander pourquoi il s’est laissé séduire et manipuler aussi facilement, à quel moment il a emprunté « le mauvais chemin ». Pour revenir aux miroirs et à la transparence : avec les costumes, et les images en général, nous créons, au début, un monde qui reflète exactement la réalité, et qui, comme la glace qui fond, va progressivement se déliter, se décomposer. Les masques tombent, et l’on voit alors le vrai visage de chaque personnage ; quand ce monde est détruit, on retourne au vide qui régnait au début du spectacle, mais à ce moment-là, il n’existe plus d’illusion – lumière ou image – pour le sauver.

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Laurent Muhleisen. On est face à un monde où l’ancien est déjà mort, le nouveau pas encore né, et dans ce clair-obscur, comme disait Gramsci, surgissent des monstres.

Guy Cassiers. Oui, ce clair-obscur est extrêmement dangereux. Ces phases historiques se produisent toujours quand une civilisation est à son apogée, ensuite elle se détruit de l’intérieur.

Laurent Muhleisen. Les figures de Nikolaï Stavroguine et de Piotr Verkhovenski sont centrales dans le roman et dans votre spectacle. Sont-ils pour vous les deux revers d’une même médaille ?

Guy Cassiers. Absolument. Piotr analyse toutes sortes d’idéologies, mais n’adhère à aucune. Sans même se référer à la psychanalyse, Dostoïevski montre très finement que tout ce qu’il entreprend est dirigé contre son père, mais aussi contre tous les membres de la jeune génération qui n’adhère pas à son programme de destruction. Piotr n’a pas trouvé le chemin de l’empathie. Il est l’alter ego de Nikolaï ; tous deux sont nihilistes et égocentriques, toutefois l’idée de changer le monde n’intéresse absolument pas Nikolaï. Piotr rêve de détruire le monde de Stépane, alors que Nikolaï, d’une certaine façon, se satisfait de son sort. Cette passivité va pousser Piotr à vouloir se servir de lui, en lui demandant d’être le symbole, l’idole du monde nouveau qu’il prétend vouloir mettre en place. Mais Nikolaï, contrairement aux autres membres du groupuscule révolutionnaire, est trop intelligent, trop indifférent aussi pour se laisser manipuler. Toutefois, il est conscient de la fascination qu’il exerce sur les autres, hommes et femmes, et ne se prive pas d’en jouir, par l’intermédiaire de Piotr, par pur jeu. Pour Piotr, en revanche, tout cela n’est pas un jeu. L’un a besoin de l’autre. Quand Piotr se rendra compte que son projet ne se réalisera pas, il n’hésitera pas, en quelque sorte, à détruire son meilleur ami. La réalité très crue de la fin du roman, c’est que presque tout le monde est mort, sauf Piotr, prêt à recommencer ses méfaits ailleurs. Le mal poursuit son œuvre. Rien n’est réglé.

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Laurent Muhleisen. Votre travail se caractérise par le croisement du travail de l’acteur avec l’utilisation de nouvelles technologies, de la vidéo, de l’image, de la lumière, du son, de la musique. Comment ce croisement s’est-il opéré avec les acteurs de la Troupe ?

Guy Cassiers. Au début de chaque processus de répétition, je m’efforce de créer avec les acteurs les conditions permettant de trouver un chemin commun pour construire le spectacle. Et quand je travaille pour la première fois avec un groupe, il ne m’est jamais simple d’expliquer ce chemin. Mais je dois dire que toute l’équipe du théâtre – qu’il s’agisse des acteurs ou de toutes les personnes qui travaillent derrière la scène – s’est montrée extrêmement réceptive et confiante à l’égard de mon travail. Ce que je demande aux acteurs en particulier, et qui n’est pas toujours simple, c’est de ne pas être uniquement en charge du personnage qu’ils jouent, mais aussi du film, des images qu’ils créent, en live, sur scène. En tant que créateurs d’images, dans leur composition et leur direction, ils sont aussi responsables de l’environnement dans lequel ils se trouvent. En somme, ils jouent leur personnage en même temps qu’ils le mettent en scène, et ils sont les éditeurs de leur propre film, à la différence que, contrairement au cinéma, la phase de montage n’existe pas ici. Tout est produit et montré en direct. Chaque plan est unique, et succède à un autre. La difficulté pour eux, c’est qu’ils ne jouent jamais directement avec leur partenaire, les yeux dans les yeux pour ainsi dire, tout en sachant que le spectateur, par le truchement des images, peut avoir cette impression. C’est assez troublant, au début, de créer une tension avec un partenaire qui n’est pas forcément en face de soi. C’est une façon particulière, d’un point de vue dramaturgique, de préparer un spectacle mais, pour moi, elle fait sens par rapport à mon projet de rendre compte du passage progressif d’une illusion séduisante à l’anéantissement brutal d’un monde. À la fin, on ne voit plus que les acteurs, réels, sur scène, et tous les éléments liés aux images ont disparu. L’arc décrit est celui qui va de la construction des images à leur destruction. Et ce sont les deux personnages principaux, Piotr et Nikolaï, qui vont déconstruire ce monde. Ils jouent avec lui, au besoin, quand il s’agit de manipuler les autres à des fins égoïstes, mais finalement, ils le détruisent, en détruisant la façon même dont il a été construit, la manière dont l’histoire a été racontée. Au fond, on pourrait dire que dès le début du spectacle, on voit un monde qui déjà n’existe plus, mais qui nous charme par la virtuosité avec laquelle les acteurs qui le peuplent créent des faux-semblants. Au fur et à mesure que la manière de raconter ce monde est détruite, les acteurs gagnent en physicalité. Il existe cependant une troisième étape, à la fin du spectacle, où même cette physicalité « live » des acteurs n’existe plus. On se retrouve alors dans un monde amorphe où les personnages se fondent les uns dans les autres, et où l’on ne voit plus que leurs démons, leurs idées morbides, rassemblés en un seul visage. Il s’agira de montrer comment les démons ont triomphé des personnages sur scène. Le spectateur, lui, garde tout au long du spectacle deux options, suivre les acteurs dans leur présence physique sur le plateau, ou les suivre à l’image. Mais à l’image, ils s’avèrent être plus grands que sur scène, créant un monde plus grand que la réalité. Pour moi, même si Dostoïevski analyse très finement la psychologie de ses personnages dans le roman, ceux-ci n’en restent pas moins « grotesques », comme dans les soaps ; les émotions qui les agitent sont surdimensionnées, et cela confère au roman un côté expressionniste, où les situations et les gens sont littéralement et physiquement « plus grands » que la vie. L’histoire qu’on raconte ici ne se situe pas dans le passé ; en créant ce monde ancien sur le plateau et en offrant la possibilité au spectateur d’assister à la création de ce monde, on lui permet d’entendre plus facilement en quoi il résonne avec le monde d’aujourd’hui. Il peut ainsi s’interroger sur sa propre responsabilité en tant que spectateur car il ne s’agit pas, au terme de ce spectacle, d’être « consolé ». Dostoïevski n’offre pas de solution, mais nous invite à chercher une nouvelle morale, que ce soit dans le champ religieux, philosophique ou politique.

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Entretien réalisé par Laurent Muhleisen, Conseiller littéraire de la Comédie-Française.

Juillet 2021

Photographies de répétition © Jean-Louis Fernandez

Article publié le 06 septembre 2021
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