L'illusion des grands espaces au théâtre

« Construire un feu » de Jack London. Du 15 septembre au 21 octobre 2018, au Studio-Théâtre.

L’un des défis et paradoxes du théâtre est de devoir représenter dans un espace restreint, souvent confiné, une multiplicité d’espaces dont certains doivent évoquer une étendue infinie.

Shakespeare souligne bien la difficulté dans le prologue d’Henry V.

« Mais, pardonnez, indulgente assemblée ; pardonnez à l'impuissance du talent, qui a osé, sur ces planches indignes, exposer à la vue un objet si grand. Cette arène à combats de coqs peut-elle contenir les vastes plaines de la France ? Pouvons-nous entasser dans cet O de bois tous les milliers de casques qui épouvantèrent le ciel d'Azincourt ? Pardonnez, si un chiffre si minime doit représenter ici, sur un petit espace, un million. Permettez que, remplissant l'office des zéros dans cet énorme calcul, nous fassions travailler la force de votre imagination. »
(Le Choeur)

Conscient des limites de l’outil théâtral, Shakespeare propose au public d’avoir recours à son imagination pour oublier « cet O de bois » – la salle élisabéthaine d’architecture cylindrique – et imaginer que « le théâtre est un monde ». La force de la métaphore est encore aujourd’hui intacte, même si les techniques scénographiques ont parfois tenté de « représenter » les grands espaces.

Au début du XVIIe siècle, le décor « compartimenté » permet par exemple, suivant le mémoire de Mahelot – le machiniste du théâtre de l’Hôtel de Bourgogne qui consigne les décors à partir de 1634 – de représenter simultanément sur scène un temple, une prison, un jardin, une montagne, une mer (décor de Clitophon de Du Ryer). Les différents tableaux sont peints sur des toiles disposées frontalement.

Dans la deuxième moitié du siècle, si la chambre ou le salon plante traditionnellement le décor des comédies et le « palais à volonté » celui de la tragédie – décor unique suivant la règle de l’unité de lieu –, la représentation des grands espaces est à l’âge classique l’apanage des « pièces à machines » : la mer, les airs, les forêts, la montagne. Ces procédés venus d’Italie permettent les apparitions par les dessous, les vols, les changements rapides de châssis peints qui émerveillent le public. Les pièces à machines de Molière, par exemple, multiplient les décors qui se succèdent rapidement : Dom Juan (la mer, la forêt, un palais), Amphitryon (les airs), Psyché (la mer, les airs, une ville où l’on voit des palais, un espace désertique, une cour magnifique, un palais environné d’un jardin, une vaste campagne, les enfers avec une mer en feu).

L’art de créer l’illusion franchit encore un pas au XIXe siècle avec l’esthétique romantique.

L’amélioration des procédés de machinerie et surtout la virtuosité des techniques picturales permettent de figurer des espaces immenses, marqués par l’historicisme qui a cours à partir des années 1820. La figuration des « grands espaces » reprend les paysages et éléments naturels déjà abordés dans le décor jusqu’ici, mais s’enrichit d’un vocabulaire historique très précis concernant les lieux architecturés souvent mi-ouvert mi fermé (cloîtres, péristyles, enceintes, places, jardins à gloriette, ruines, villes, palais ouverts, terrasses, lacs). Les effets spéciaux évoquant les accidents enrichissent ces décors d’éclairs, de coups de tonnerre, pluies, grêles, effets de vent, lunes, arcs-en-ciel, effets de neige, feux et incendies, écroulements, procédés visuels parfois redoublés par la musique – qui prend en compte une part de la dramatisation des éléments climatiques.

Les Comédiens-Français, lorsqu’ils jouent au Théâtre antique d’Orange, à partir de 1888, dans l’architecture en arène, n’ont pas besoin d’autre décor que le cadre naturel du site, de même que plus tard, à Avignon pour le Festival, certains metteurs en scène exploitent celui de la Cour d’honneur du Palais des papes (notamment Terry Hands pour Richard III en 1972). En 2019, la troupe jouera au Théâtre antique d’Épidaure, dans une scénographie qui laissera toute sa place à la situation exceptionnelle du lieu.

Dans les salles, la recherche de nouveaux procédés se substitue aux toiles peintes, que ce soit aujourd’hui les projections vidéo ou la reconfiguration du rapport scène-salle qui permet plus de liberté.

On se souvient en particulier qu’Éric Ruf dessina un chemin à travers la lande pour Peer Gynt représenté en dispositif bifrontal au Grand-Palais en 2012.

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  • Visuel : © Stephan Zimmerli

Agathe Sanjuan, Conservatrice-archiviste de la Comédie-Française, juin 2018.

Article publié le 05 septembre 2018
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