Note de magie et mise en scène

« Faust » de Goethe. Adaptation et mise en scène Valentine Losseau et Raphaël Navarro. Du 21 mars au 6 mai, Théâtre du Vieux-Colombier.

LA MAGIE COMME LANGAGE

Faust est jalonné de détails fascinants, comme des tables d’orientation qui nous permettent de déambuler dans la métaphysique serrée, étrange, insondable de Goethe. L’auteur décrivait lui-même sa pièce comme un « monde nébuleux d’idées et de symboles ». Tous les personnages y sont environnés de magie. Notre héros convoque des esprits mineurs à l’aide d’incantations plus ou moins maîtrisées ; la sorcière concocte des potions de rajeunissement aux effets secondaires dévastateurs ; la très pieuse Marguerite détecte, sous les traits d’un diable endimanché, un je-ne-sais-quoi qui la fait frémir. Il existe une inégalité dans la distribution des possibles, définissant une multi-réalité qui puise son inspiration dans différentes formes de magie, ou spiritualités pratiques : magie blanche, alchimie, Rose-Croix, invocations divines et infernales. Au-delà de la force et de l’impact du mythe faustien et de son pacte avec le diable, Goethe a orchestré une véritable chorégraphie cosmogonique qui nous fascinait depuis longtemps.
Avant de commencer notre travail d’adaptation et de mise en scène, nous avons cherché à comprendre quelle était la nature exacte du monde dans lequel nos différents personnages existent, et nous les avons pris au sérieux.

Un de nos axes majeurs est l’appréhension de la magie comme un langage en soi, langage artistique et territoire esthétique autonome et foisonnant. Dans notre « Faust », la magie est omniprésente... mais pas forcément là où le texte la suppose.

Son univers – ses personnages et les lois floues de l’espace, de la gravité et du temps qui le composent – sont autant d’espaces de liberté que nous a inspiré le traitement du réel dans l’œuvre imaginée par Goethe.

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MÉPHISTOPHÉLÈS, MAÎTRE DES ILLUSIONS

Bien que Méphistophélès déploie beaucoup d’énergie à dissimuler sa nature maléfique, nous avons souhaité le dissocier des réalités terrestres en lui prêtant une corporalité sur laquelle la gravité n’a pas la même emprise que sur les êtres humains. L’avatar diabolique évolue toujours au bord de la lévitation et offre à l’acteur une nouvelle palette de jeu, de ses mouvements et intentions. Pour parvenir à cet état de corps modifié, nous avons travaillé pendant plusieurs mois avec Christian Hecq qui interprète ce rôle en l’initiant plus spécifiquement à des techniques développées pour nos précédents spectacles.

Méphistophélès joue un rôle central dans la distribution de la magie.

Après avoir fait un pari avec Dieu sur l’âme de Faust, le prince de l’Enfer et avatar terrestre du Malin va tout faire pour entraîner celui-ci dans ses voies. Nous sommes pourtant bien loin d’un personnage tout-puissant. Méphistophélès domine le feu, est le maître des sorcières et l’invité très spécial du Sabbat, il dompte les feux follets, mais sur le libre arbitre humain il n’est capable que d’influence. Par quels moyens exerce-t-il ce charme mystérieux ? Par la ruse. Par l’illusion. Ce que certains auteurs ont nommé, d’après la mythologie grecque, la mètis. Méphistophélès s’apparente aux esprits malicieux que l’on retrouve dans de très nombreuses sociétés de par le monde, regroupés sous l’appellation générique tricksters – entités farceuses qui n’aiment rien tant que mettre des bâtons dans les roues des humains dont ils peuplent les territoires. Méphistophélès concocte pour Faust un voyage initiatique, avec une cruauté jouissive. Satan lui-même, maître des illusions, il ne peut pas grand-chose mais accomplit beaucoup.

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LE VOYAGE FANTASTIQUE DE FAUST

Notre approche distingue l’illusion, signature du diable, de la magie, état permanent du réel auquel aucun des personnages ne peut échapper.

Ainsi, le voyage de Faust prend un tour fantastique : il est possible que tout ait été fabriqué de toutes pièces par le diable, et que Faust ne soit en fait jamais sorti de son cabinet d’étude. La scénographie d’Éric Ruf et Vincent Wüthrich s’est attachée à créer des espaces amphibies. La taverne et la cuisine de la Sorcière pourraient aussi bien représenter l’intérieur du cabinet de Faust. Tout n’aura été – peut-être – que vue de l’esprit, sauf la réalité brutale du cachot où Marguerite gît en attendant la mort.
Dans cette œuvre organisée autour du voyage de Faust, attentive aux oscillations de son âme et « à la tempête de ses désirs », on trouve de nombreuses ellipses, troublantes occultations du drame, – celui bien réel et terrestre de l’héroïne. La tragédie vécue par Marguerite est totale. Une jeune fille pieuse, violée, rendue orpheline, rejetée, infanticide, est condamnée à mort. Or les deux événements les plus dramatiques, son viol puis son accouchement et son infanticide, semblent dissimulés dans les ellipses, comme l’est le meurtre de Roger Ackroyd dans les points de suspension d’Agatha Christie si abondamment commentés dans l’histoire de la littérature. Ces ellipses, ces points de suspension sont pour nous de sublimes espaces de liberté.

Scénographie : Éric Ruf et Vincent Wüthrich

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  • La taverne d'Auerbach
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  • La rue
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  • Le cabinet de Faust

MÉTAPHYSIQUE AMUSANTE

L’ensemble du drame humain prend sens dans l’opposition inégale entre Dieu et Méphistophélès. Nous avons souhaité que ce cadre soit rendu constamment présent via le point de vue du spectateur sur l’action. Dans les premières scènes, l’intérieur du cabinet de Faust est vu de loin comme à travers un hagioscope, ces ouvertures discrètement ménagées dans les églises et qui permettent à des personnes extérieures d’observer l’autel où se joue le rite. Puis, à travers le voyage initiatique, l’histoire se rapproche de nous en jouant sur différents niveaux de profondeurs. Pour Goethe, Faust est une œuvre qui va « de la terre au ciel, du ciel à l’enfer »... les comédiens occupent tous les espaces, depuis le fond de scène l’action gagne bientôt l’avant-scène, le proscénium, jusqu’à la salle elle-même.
Le cadre situe l’action au XIXe siècle, époque à laquelle Faust est publié, monté et traduit en français. C’est aussi celle où le naturalisme scientifique prend forme, et où apparait la magie dite moderne, jusque-là célèbre pour son répertoire de tours de cartes ou de foulards. Cette discipline, qui acquiert ainsi ses lettres de noblesse, propose un discours ironique et amusé sur les questionnements scientifiques et spirituels de son époque. Avant l’avènement de la magie moderne, on parlait pour désigner son répertoire de trucs à la jonction de la science et de la magie, de physique amusante.

Nous avons toujours pensé qu’une pièce métaphysique doit être drôle, et que l’œuvre de Goethe regorge d’un humour trop peu souvent mis au jour.

Chansons absurdes, personnages drolatiques comme le Proctophantasmist ou la Sorcière, dialogues fusant, serrés, pleins d’esprit et d’ironie : dans ce texte et ses didascalies, l’humour est omniprésent. C’est pour nous une conviction profonde que la magie, figure du trouble et de mystère, s’accommode volontiers du rire.

LA MAGIE À LA COMÉDIE-FRANÇAISE

Afin de comprendre les enjeux de la gestion de l’attention cognitive, de la distribution des focus visuels et du dédoublement que suppose – pour tout interprète – l’exercice d’une technique secrète, les comédiens de la pièce ont été initiés à la magie et à ses techniques, après avoir eux-mêmes passé un « pacte du secret ». La marionnette occupe également une place significative : mêlée à des procédés illusionnistes, elle permet de donner vie à des êtres surnaturels, notamment aux célèbres diablotins, les adjuvants de la sorcière si chers à l’imaginaire du XIXe siècle. Enfin, nous avons convié l’ensemble de la troupe du Français, qui apparaît de manière fantomatique dans cette étonnante scène de la grande fête des esprits et des fantômes du théâtre qu’est la Nuit de Walpurgis.

Mettre en scène Faust à la Comédie-Française a été l’occasion d’une hybridation entre les langages du texte, du jeu d’acteur, du théâtre visuel et de la magie.

Valentine Losseau et Raphaël Navarro, février 2018

Article publié le 12 mars 2018
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