Par Robin Ormond
Après une saison passée dans la Maison, au plateau comme dans les ateliers et autres espaces de travail et de création, la promotion 2022-2023 de l’Académie présente son spectacle de sortie : une pièce qui tisse des liens entre « L’Échange » et « La Dispute » de Marivaux, offrant une vision riche et novatrice de cet auteur majeur du répertoire. Robin Ormond, qui signe l’adaptation et la mise en scène, présente son projet — projet mis en œuvre par les neuf membres de l’Académie à découvrir sur la scène du Studio-Théâtre.
L’Épreuve d’après Marivaux : 8, 9 et 10 juillet à 18h30 au Studio Théâtre.
Entrée libre sur réservation.
La persévérance et la détermination à la fois féroces et tendres avec lesquelles Marivaux tente au travers de ses pièces de déceler une vérité humaine, qu’elle soit laide ou étrange, qu’elle amuse ou mette mal à l’aise, sont un des plus précieux trésors du répertoire français. On oublie à quel point les jeux fous que le dramaturge du XVIIIe siècle a inventés sont de courts épisodes assez cruels, débouchant parfois sur un bonheur fortuit, souvent sur l’exact opposé, toujours sur une découverte qui trouble, décontenance et blesse. On y observe des âmes qui s’amusent à s’entrechoquer, se découvrent après avoir établi les règles d’une partie qu’elles sont persuadées maîtriser. Ce sont des esprits et des cœurs qui s’alignent et se séparent violemment, s’étonnant autant de l’enchaînement de leurs propres pensées que de celui des événements qu’ils provoquent. J’y vois la plus pure expérience humaine, celle en particulier d’une jeunesse qui s’amuse à expérimenter sur elle-même et sur les autres, se plaît à se découvrir dans les cœurs et dans les sens.
Je sentais le besoin de trouver pour les académiciennes et académiciens un texte impliquant une telle jeunesse, joueuse, sur le fil, en plein questionnement moral, ayant soif de découvrir qui elle est sans jamais se poser la question frontalement mais en empruntant de nombreux détours. Qu’il s’agisse de changements de rôles constants, d’ajustements de personnalité que l’on s’autorise lors d’une rencontre amoureuse, d’inhibitions que l’on vainc au cours d’une soirée, ce sont autant d’occasions de laisser affleurer sous les masques les vrais visages. À cet égard, le corpus entier de Marivaux est une des rares œuvres théâtrales à explorer autant l’idée selon laquelle on ne peut se découvrir qu’en expérimentant, sans pouvoir deviner la cicatrice que cela laissera.
J’ai très vite eu la sensation que chacune des pièces de Marivaux pouvait servir d’arrière-plan à une autre, que chacun des personnages était le cousin ou la cousine d’un ou d’une autre. J’aurais rêvé pouvoir créer un grand mélange de toutes ces pièces, comme un immeuble de ville anonyme où Silvia de La Double Inconstance ne rencontrerait pas l'Arlequin de sa pièce mais celui de L’Île des esclaves, où Lisette du Jeu de l’amour et du hasard serait également la fille de Blaise dans L’Heureux Stratagème. Ce spectacle, créé avec les comédiennes et les comédiens de l'Académie, est le premier fragment de cette grande mosaïque marivaudienne qui reste peut-être à bâtir. On imagine ici que les personnages de L’Épreuve sont issus de l’expérience de La Dispute, que la raison pour laquelle Lucidor se met en tête d’éprouver l’amour d’Angélique ne vient pas d’une interrogation psychologique un peu tordue mais est liée au contexte dans lequel il a été éduqué par le Prince, celui d’une expérience dont il a été le cobaye toute sa vie. Tous ces personnages qui s’amusent à changer de rôles pour une heure, se distribuent des objectifs, se donnent des raisons dans le but de tester quelqu’un le temps d’une fête, le font car on ne leur a jamais montré qu’une autre version de l’existence était possible, plus naturelle, sans tromperies ni infidélités à soi-même et aux autres. Si leur vie entière a été une épreuve permanente, seront-ils capables lors de cette soirée de se rendre compte à quel point ce petit jeu est tordu, en particulier vis-à-vis d’Angélique ?
Pour poser cette question, et sans vouloir me faire plus brillant que l’auteur des œuvres originales, bien au contraire, j’ai senti le besoin de conserver les trames qui m’inspirent et de les « traduire » en quelque sorte dans un langage plus quotidien, une situation plus actuelle, en prenant parfois appui sur les histoires des interprètes eux-mêmes, pour créer un texte au plus proche d’eux et de moi. Il faut voir cela comme une de ces peintures flamandes du XVIIe siècle où, derrière une scène contemporaine, on devine, à travers une porte ou une fenêtre, la représentation d’une scène religieuse archaïque.
Je crois puissamment dans le pouvoir des nouveaux récits qui changent ce qui a créé pendant trop longtemps une habitude intellectuelle et sensorielle chez le public de théâtre.
Cette habitude provient de la répétition mécanique et cyclique des mêmes histoires, des mêmes mots, dits de la même façon dans des positions, des corps et des attitudes plus ou moins semblables. En explorant de quelle manière les récits tels que ceux de L’Épreuve ou de La Dispute peuvent avoir lieu aujourd’hui, en les inscrivant dans notre langage, dans sa banalité et même sa vulgarité, je ne cherche pas à en altérer le sens. Je voudrais simplement essayer de me soustraire à cet automatisme tout en sachant qu’on ne peut mener un changement si radical sur le répertoire sans l’aimer, le comprendre, l’analyser puis le synthétiser. C’est aussi, comme Marivaux le fait, une manière d’ouvrir des possibles insoupçonnés par l’entremise d’un langage qui trahit autant qu’il dissout et tourne à vide avant de devenir un code que l’on s’amuse à subvertir au gré des jeux mis en place.
Cette pièce est pour moi un essai, une épreuve aussi. Elle emprunte autant à Marivaux qu’à de nombreux autres modèles. On y trouvera des lambeaux de répliques ou même d’articles écrits par Marivaux dans Le Spectateur français, des chutes de mon mentor, Simon Stone, qui m’a fait plonger dans la réécriture radicale d'œuvres théâtrales, des citations de Malebranche, de Chantal Akerman, d’autres auteurs et autrices encore. Il s’agit pour moi d’apprendre en volant, en vandalisant, en triturant, en juxtaposant, en essayant de faire jaillir au milieu du prosaïsme et du chaos un réel insoupçonné. Je prends ici pour modèles tous ces créateurs qui me précèdent et ont décalqué histoires et images d’autres artistes afin de les faire leurs, avant de les transformer puis de les offrir à d’autres après eux. Marivaux ne s’est-il pas lui-même inspiré de Lope de Vega pour son Heureux Stratagème ? Peut-être l’épreuve du doute que nous pouvons faire collectivement en mettant un pied dans l’écriture contemporaine et la réécriture radicale d'œuvres anciennes libérera-t-elle certains spectateurs et certaines spectatrices de l’aveuglante immédiateté du patrimoine, de son autorité prédéterminée. Peut-être que tout cela réussira durant quelques instants, ou échouera pour la durée entière du spectacle. Je ne sais pas, et je m’en réjouis. Je me servirai pour finir des mots d’une autre. Ce sont ceux d’Haydée dans La Collectionneuse d’Éric Rohmer : « Je cherche. Je cherche pour essayer de trouver quelque chose. Je peux me tromper. J’exploite. C’est peut-être n’importe quoi. Le principal, c’est que j’en tire quelque chose. »
Robin Ormond
Metteur en scène dramaturge de l'académie de la Comédie-Française
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