Agatha Christie est à l’affiche du Théâtre du Vieux-Colombier pour une fin de saison sous le signe du suspense ! Lilo Baur, qui signe ici sa septième mise en scène à la Comédie-Française, dévoile la façon dont elle a travaillé la pièce avec ses collaborateurs et collaboratrices artistiques, ainsi qu’avec les comédiennes et comédiens de la Troupe. Bien entendu, cette rencontre passe sous silence les clefs de l’enquête de l’inspecteur Trotter !
Lilo Baur. J’ai découvert une partie de sa vie il y a peu, dans un livre, The Mystery of Mrs. Christie. Elle aurait mis en scène sa propre disparition après avoir appris que son mari la trompait. Elle est partie plusieurs jours, le laissant sans nouvelles. Les recherches par la police de l’écrivaine déjà célèbre ont fait l’objet de gros titres dans la presse. Cet épisode me fascine, elle avait un réel sens de la scène. Elle avait aussi le sens des répliques, répondant alors qu’on l’interrogeait sur son second mariage, avec un archéologue de quinze ans de moins qu’elle : « Un archéologue est le meilleur mari qu’une femme puisse avoir ; plus elle vieillit, plus il trouve qu’elle prend de la valeur. » Voilà pour moi qui est Agatha Christie ! J’aime beaucoup son humour, très britannique. Elle reste une grande référence du polar en littérature, mais aussi au cinéma. De grosses productions récentes sont réalisées « à la manière d’Agatha Christie », comme Knives Out (À couteaux tirés) et sa suite Glass Onion avec Daniel Craig, mais aussi Qui a tué Lady Winsley ?, sur l’assassinat d’une romancière. Et dans See How They Run (Coup de théâtre), une troupe fête la centième de La Souricière. Je suis très heureuse de monter cette pièce, mythique à Londres où elle est à l’affiche depuis sa création en 1952.
L. B. Avec Bruno de Lavenère, nous avons imaginé une scénographie avec une grande fenêtre à travers laquelle on voit monter le niveau de la neige. Et dès que quelqu’un ouvre la porte d’entrée, une bourrasque de neige pénètre violemment dans le salon. Au fur et à mesure, la tension de l’enfermement augmente car il n’y a bientôt plus aucune issue. C’est la souricière ! Dans la pièce, on ne compte pas le nombre de fois où un bruit anodin fait sursauter un personnage. Les ressorts de la peur sont multiples. Roland Barthes m’a éclairée sur le sujet, lui qui dit, « À l’origine de tout, la peur », et qui remplace la formule cartésienne « Je pense, donc je suis » par « J’ai peur, donc je vis ». De même, le livre de Pierre Bayard Hitchcock s’est trompé aborde comment le cinéaste distrait l’attention des spectateurs et spectatrices par le biais du cadrage ou du son. Il joue magistralement sur notre sensibilité, l’angoisse naît de la suggestion de ce qui pourrait arriver. C’est ce qui m’intéresse particulièrement ici, les tensions à trouver dans la mise en scène.
L. B. Absolument. Si Hitchcock reste le maître absolu du suspense, je citerais aussi Orson Welles ou Fritz Lang, notamment pour la lumière et les contrastes. Nous reprenons des effets propres au genre cinématographique avec les moyens du théâtre : un champ-contrechamp pour inverser le point de vue dans l’enquête en cours, un zoom sur le ticket de bus que trouve Giles... L’indice illuminé ouvre une nouvelle piste pour le public, à la façon d’une partie de Cluedo. N’en reste pas moins que le rythme général, la circulation dans l’auberge avec des entrées et sorties permanentes dans le salon central me fait énormément penser à Feydeau. Les personnages n’ont pas d’intimité, ils peuvent à tout moment être surpris par la présence de quelqu’un.
L. B. Il s’agit d’une comptine extrêmement populaire en Angleterre. En premier lieu, je tiens à préciser qu’avec Serge Bagdassarian, qui cosigne la traduction de la pièce, nous avons choisi de garder les paroles en anglais afin de conserver la saveur originale. Nous n’avons donc pas souhaité la traduire ou la remplacer par son équivalent français. Three Blind Mice parle de trois souris aveugles qui courent et se font couper la queue par une fermière. Comme dans beaucoup de jeux enfantins, il y a une part de cruauté. Cette chansonnette est en effet au centre de l’intrigue et le thème musical revient comme une menace naïve et inquiétante, sifflotée par Christopher ou jouée au piano par Paravicini qui prend un malin plaisir à reprendre cet air entêtant. Il y a d’autres éléments récurrents, la radio, le journal ou le téléphone. Avec Mich Ochowiak à la musique et au son et Laurent Castaingt à la lumière, nous avons développé une atmosphère pour cette auberge coupée du monde, qui n’est pas le refuge attendu. Il fait froid, il y a des coupures d’électricité, des bruits de tuyauterie, des grincements de portes.
L. B. Agatha Christie fait immédiatement peser le doute sur l’ensemble des personnages qui, dès leur arrivée, portent les mêmes vêtements, assez courants, que ceux de l’assassin décrits à la radio. Agatha Christie rassemble dans cette auberge une panoplie de personnalités qui n’ont rien à voir socialement, et qui ne se connaissent pas – hormis Mollie et Giles, mariés depuis un an. Chacun et chacune ne dévoilent que ce qu’ils veulent bien dire de leur identité. Ils s’interrogent les uns les autres, émettent des doutes en aparté sur une apparence physique ou une attitude jugées étranges et donc suspectes. L’arrivée de l’inspecteur pourrait introduire un sentiment de sécurité, mais il lui sera difficile de protéger sept personnes qui peuvent à tout moment se retrouver seules et être tuées. Le masque social, comme l’originalité ou l’extravagance, nous offrent une formidable matière à jouer. L’étrangeté peut naître d’un simple détail qui dénote, ce que nous travaillons dans les costumes et la physionomie avec Agnès Falque et Cécile Kretschmar. C’est ce que j’aime dans cette diversité des caractères, chacun est extraordinaire en soi. À plusieurs reprises, les locataires expriment eux-mêmes leur possible culpabilité : Paravicini s’amuse à rappeler qu’il est arrivé sans réservation avec l’alibi de chercher refuge à cause de la neige. Nous ne savons rien non plus de Mlle Casewell qui vit à l’étranger. Même Mollie et Giles sont concernés par des cachotteries entre eux : si l’on pense connaître un proche, on ne sait pas forcément tout de sa vie antérieure. J’aime beaucoup une phrase d’Agatha Christie qui dit en substance : « Quand la vie avance, il devient fatigant de maintenir le personnage que l’on s’est inventé, on se recentre sur son individualité et l’on devient chaque jour, avec soulagement, un peu plus soi-même. » Le thème de l’oubli, le fait de ne pas arriver à oublier revient régulièrement. Il y a des moments de confidence touchants, notamment entre Mlle Casewell et Mollie qui se termine sur la volonté de ne pas se laisser submerger par son passé, aussi problématique qu’il ait pu être. La pièce traite de la maltraitance de l’enfance. Et dans toute l’œuvre d’Agatha Christie, il ne s’agit pas tant de vengeance que de rendre justice, de réparer le sentiment d’injustice.
L. B. Oui, j’organise souvent pour cela, avant le travail sur le texte lui-même, des séances d’improvisations autour de thématiques liées. Il s’est agi ici d’exercices sur des niveaux de tensions à la fois physiques et relationnelles. Cela pour explorer à quelle échelle on fait confiance dans une personne ou un groupe spécifiques, pour jauger la peur, la méfiance ou la confiance ressentis sans forcément de réciprocité. Ces séances nourrissent le champ des possibilités et ont l’avantage de souder le groupe. Je reste marquée par les quatorze années passées au sein de la compagnie Complicite avec Simon McBurney où nous avons fait l’apprentissage d’un vocabulaire commun qui permet de réagir plus directement aux propositions de sa ou son partenaire. Entretenir une confiance mutuelle est essentiel pour moi, et je cherche toujours à ce que l’équipe soit unie vers le même but : raconter ensemble une histoire.
Entretien réalisé par Chantal Hurault
Responsable de la communication et des publications du Théâtre du Vieux-Colombier
Photos de répétitions © Vincent Pontet
Attention : en raison d'une forte demande, les cartes "famille" et "adulte" 2025-2026 ne sont plus disponibles.
Les réservations pour les Cartes et les Individuels se feront uniquement sur Internet et par téléphone au 01 44 58 15 15 (du lundi au samedi de 11h à 18h). Aucune place ne sera vendue aux guichets avant septembre pour la saison 2025-2026
En raison des mesures de sécurité renforcées dans le cadre du plan Vigipirate « Urgence attentat », nous vous demandons de vous présenter 30 minutes avant le début de la représentation afin de faciliter le contrôle.
Nous vous rappelons également qu’un seul sac (de type sac à main, petit sac à dos) par personne est admis dans l’enceinte des trois théâtres de la Comédie-Française. Tout spectateur ou spectatrice se présentant muni d’autres sacs (sac de courses, bagage) ou objets encombrants, se verra interdire l’entrée des bâtiments.