Rencontre avec Sophie Bricaire

« Nous connaissons Sophie Bricaire depuis plusieurs saisons, enseignant aux générations successives de l’académie de la Comédie-Française l’écosystème dans lequel ces jeunes artistes vont devoir travailler. Chaque année le portrait dressé de leur intervenante est beau et enthousiaste. Sophie Bricaire accompagne également Tiago Rodrigues dans son travail avec la Troupe sur « Hécube, pas Hécube » depuis l’été dernier. Je suis heureux de confier à cette jeune metteuse en scène le spectacle pour enfants de cette saison au Studio-Théâtre. Elle s’empare d’un monument de la littérature italienne en adaptant « Pinocchio » de Carlo Collodi. » Éric Ruf


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  • Laurent Muhleisen. Pinocchio est l’un des romans pour la jeunesse les plus connus, les plus traduits au monde ; quels sont les principes et les enjeux qui ont guidé votre adaptation pour le spectacle présenté au Studio-Théâtre ?

Sophie Bricaire. Si Pinocchio est une œuvre extrêmement célèbre, elle l’est en particulier – surtout en dehors de l’Italie – par l’adaptation qu’en ont signé les studios Disney en 1940. C’est sous cette forme que je l’ai découverte, enfant, avant de lire, adulte, le roman de Carlo Collodi. Cette lecture s’est en partie faite à travers un prisme personnel, celui du désir contrarié d’avoir un enfant. Ainsi, j’ai souhaité explorer l’œuvre du point de vue particulier de Gepetto. Dans ma version, cet humble artisan oublie que la créature qu’il fabrique va non seulement prendre vie, mais aussi vouloir très s’émanciper très rapidement . J’ai cherché à interroger ce qui, dans le roman, sous-tendait le « désir d’enfant », et suivre le parcours de cette « créature » qui brûle de devenir un ou une véritable enfant. Cette volonté d’émancipation, de s’éprouver soi-même, guide le spectacle. Ce principe résonne fortement, à mon avis, avec le statut de la parentalité tel qu’il s’exprime de nos jours. La question de l’ascendance y est très présente : de quoi, de qui, dépend la manière dont nous nous constituons ? En plus de ces principes, j’ai également axé cette adaptation sur la distribution choisie pour ce projet : Pinocchio, dans nos imaginaires hérités d’une tradition d’ouvrages pour la jeunesse, est une créature qui ne rêve que de devenir un petit garçon. Or j’ai souhaité confier ce rôle à une comédienne pour dépasser la question du genre et élargir le champ des possibles : à travers un parcours semé d’embûches, en contrariant tous les conseils, toutes les instructions qu’on lui donne, Pinocchio va – pour définir son propre chemin – se découvrir par elle-même et choisir de revenir à Gepetto. La figure paternelle, dès lors, ne lui est plus imposée.

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  • L. M. Le roman de Collodi ne manque pas de cruauté, voire d’un certain sadisme ; ce ne sont pas, semble-t-il, ces aspects qui vous intéressent le plus ?

S. B. J’ai souhaité m’adresser à tous les publics. Je pense que toute bonne histoire pour la jeunesse doit continuer de s’adresser à la part d’enfance que les adultes conservent en eux. Dans ce cas précis, on peut également toucher de très jeunes enfants. C’est la raison pour laquelle j’ai quelque peu « adouci » l’âpreté du roman – on ne verra pas par exemple Pinocchio être pendu, ou écraser à coups de marteau sa « conscience », incarnée par un grillon. De même, le personnage de Gepetto ne sera pas aussi détestable que chez Collodi. Pourtant, Pinocchio gardera son côté « sale garnement », cette impertinence qui me semble être son premier geste d’émancipation. Ce que je souhaite surtout, c’est raconter un vrai chemin d’amour, de rencontre. En transformant sa douleur d’être resté sans descendance en un geste créateur, Gepetto apprend ce que signifie la paternité, ce que c’est qu’un enfant et quel espace on doit lui donner. D’un autre côté, l’aspect cruel que représentent les rapports sociaux dans le roman subsiste dans l’adaptation. Quand on lit l’œuvre de Collodi, on remarque à quel point la question de l’argent y est omniprésente. Or, notre époque, notamment avec les réseaux sociaux, montre à quel point une identité sociale s’affirme à travers des rapports financiers. Pinocchio souffre d’avoir « atterri » dans la maison d’un pauvre et n’assume pas cette situation fragilisante. La quête d’argent comme marqueur social va être à l’origine de ses aventures. Le chemin sera long pour revenir à Gepetto, qui, dès son premier monologue, souligne qu’il n’a rien, qu’il ne se définit que par son chagrin de n’être pas père.

  • L. M. Comment avez-vous construit votre distribution pour ce spectacle ?

S. B. Alain Lenglet et Claïna Clavaron, qui jouent respectivement Gepetto et Pinocchio, sont les seuls à endosser un rôle unique. C’est presque aussi le cas pour Françoise Gillard, qui interprète la Fée bleue – amie précieuse qui veille sur eux – mais aussi Arlequin. Élissa Alloula et Thierry Godard assument quant à eux une dizaine de personnages. Leur prestation se veut virevoltante, avec des changements de costumes très rapides. Bien qu’ils représentent toujours dans le récit la part de tentation et d’écart, ils contribuent à aider Pinocchio à affirmer son identité. La représentation s’ouvre par un prologue où les cinq artisans de l’histoire se présentent de façon sobre devant un décor qui porte des indicateurs du récit à venir : un masque de renard, un masque de chat, des ballons, un abécédaire… À ce stade, tous les acteurs et actrices pourraient être porteurs de la narration. Un petit conflit s’installe, jusqu’à ce que Gepetto s’impose ; sauf qu’il se fait prendre de court par Pinocchio, qui s’insère dans le récit. Progressivement celui-ci devient le sien. À ce moment, on entre dans le monde de la couleur. Et c’est Pinocchio, en s’appropriant son histoire, qui va faire apparaître tous les personnages, portés par ce « binôme drolatique et maléfique » que jouent Élissa et Thierry.

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  • L. M. Les indicateurs de récit s’organisent dans une scénographie qui rappelle le monde de l’enfance…

S. B. Nous avons beaucoup réfléchi au décor avec Philippine Ordinaire, assistée de Nina Coulais et Anaïs Levieil. Nous voulions à la fois travailler sur l’image enfantine du mobile, en nous inspirant des mobiles de Calder, et mettre en évidence la mécanique artisanale du théâtre. En assumant la manipulation à vue des objets suspendus à ce mobile, nous voulions que ce soit le décor qui évoque la figure du pantin. A contrario, il était très important pour moi que Pinocchio ne soit à aucun moment relié par des fils. Avec Alex Costantino, le costumier, il nous intéressait davantage de travailler sur la notion de corps contraint. De même, mme miniature, dans son écriture sonore, souhaitait faire ressortir l’alliage du fer et du bois. Ce mobile, nous le voulions très « gourmand ». Relié à l’univers de Pinocchio, il marque un contraste avec celui plus sombre de Gepetto. La lumière du spectacle, conçue par Jeanne Guillot, contribue à le rendre gourmand dès le début du « chemin d’émancipation » de l’enfant.

  • L. M. Pinocchio créature fait appel à un large « vestiaire », en écho à la multitude de personnages. Comment l’avez-vous constitué ?

S. B. Pinocchio créature est devenu un véritable spectacle à costumes ! Nous avons largement puisé dans le stock de la Comédie-Française, qui a été une source d’inspiration. Alex Costantino a beaucoup travaillé avec moi sur la dramaturgie du spectacle. Le costume de Pinocchio, puisqu’il n’est pas relié à des fils, relève de l’armature, sur laquelle Gepetto active une clé mécanique : il figure ce corps empêché, mais aussi surprotégé, à l’image de tous ces éléments dont nombre de parents affublent leurs enfants. Or en surprotégeant, on risque parfois d’étouffer… Ainsi, à la fin du spectacle, quand Gepetto retire toutes ces protections, c’est une manière de lui dire qu’il a, enfin, confiance en elle. Nous avons construit une grammaire autour de ce vestiaire : en partant d’un costume assez « pauvre » dans la scène d’ouverture, qui évolue vers des éléments très colorés, puisant dansla commedia dell’arte, la farce, voire le grotesque, mais lorgnant aussi vers Tim Burton et le cirque… Ce qui nous intéresse, c’est de travailler sur l’idée du patchwork. Cela reflète bien le monde du théâtre en soi, très présent dans le roman, avec le personnage d’Arlequin. Mais ce travail raconte aussi l’histoire de la Comédie-Française. En réutilisant les costumes du stock, nous évoquons toutes les couches de vécu de ce théâtre. Si le décor reste fixe, ce sont les costumes qui font voyager Pinocchio et le public.

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Entretien réalisé par Laurent Muhleisen Conseiller littéraire de la Comédie-Française

Photos de répétitions © Jean-Louis Fernandez

Article publié le 15 mai 2025
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