Se souvenir est un acte
La langue est mère de mémoire

par Amélie Wendling, collaboratrice et traductrice de Lars Norén, directrice artistique de Fragments Norén

Quelques éléments biographiques

Né à Stockholm en 1944, Lars Norén grandit à Genarp dans le sud de la Suède, où ses parents gèrent un hôtel restaurant.
En 1963, à 19 ans, Lars Norén publie Lilas, neige son premier recueil de poèmes d’inspiration surréaliste. Devenu célèbre en 1966, il est poète pendant plus de 20 ans.
En 1978, à la suite d’un rêve puissant, il bascule dans l’écriture dramatique. Ses œuvres sont montées partout dans le monde. Depuis 1992, en parallèle de son écriture prolifique, Lars Norén est invité à mettre en scène ses propres textes ou des textes de son choix en Suède et dans toute l’Europe. En 2018, il entre au répertoire de la Comédie- Française en créant Poussière, une pièce sur la vieillesse et la mort.
Il est également le directeur artistique du Riksdrama à Stockholm de 1999 à 2007 puis du Folksteatern à Göteborg de 2009 à 2011.
À partir de 2012, en parallèle de ses pièces de théâtre, Lars Norén publie trois romans philosophiques et un nouveau recueil de poésie Stoft, pour lequel il a reçu le prix Nils Ferlin. Il écrit Fragment et Fragment II, des pensées suspendues dans des pages vides. Il partage également son journal de travail qui devait se terminer à sa mort.
Il est emporté par le covid le 26 janvier 2021.
Journal d’un dramaturge 2019-2020, le 4e tome de son journal, a été publié à l’automne 2022.

Fragments Norén

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Le personnage de Lars
Fragments Norén est une traversée de l’écriture dramatique de Lars Norén mais aussi de son geste d’artiste, d’où l’apparition de ce personnage dont la parole construit la soirée. Je l’ai écrit à partir de tout le matériau rassemblé en 20 ans de collaboration avec Lars, à partir de nos conversations, d’interviews, d’articles et de mes souvenirs. Cette voix norénienne permet aussi d’entrer dans les extraits sans avoir besoin d’explication ni de résumé. Cette traversée se déroule dans l’ordre chronologique, pour que l’on avance avec lui dans son œuvre.
Les trois moments de son écriture dramatique
Lars Norén regrettait ne pas avoir écrit du théâtre plus tôt, il a commencé à 34 ans. Pourtant sa productivité – il est l’auteur de plus de 100 pièces de théâtre – et sa recherche constante de nouvelles formes de langage et de représentation caractérisent son œuvre.
En 1980, ses deux pièces Le Courage de tuer et Oreste connaissent un succès immédiat. Il atteint un public plus large grâce à ses pièces réalistes abordant des drames familiaux et relationnels dans des milieux aisés mais émotionnellement fragiles. La famille est un cocon étouffant que les enfants essaient vainement de briser pour survivre. Une fois les enfants hors-jeu, les déballages et les règlements de compte se font entre amants.
En 1998, avec Catégorie 3.1, Norén quitte le cercle étroit de la famille pour aller dans les rues de Stockholm. Son théâtre devient alors social et sociétal : les bas-fonds et la grande misère des métropoles occidentales sont mis sur le devant de la scène. Il donne la parole à ceux que la société a exclus : prisonniers, SDF, malades mentaux, réfugiés, etc. Ses pièces capturent les ombres du monde, alertent, remuent. Pour lui, « l’espoir au théâtre réside dans le public, dans la réaction du public. »
À partir de 2006, Norén revient à l’essentiel, il recherche une simplicité autre dans la langue, une réduction. Ses textes évoquent les rencontres et le temps dans l’espace humain, les débuts et les fins, le temps qui passe, les au revoir, la mort. Ses personnages n’ont plus de nom, ses pièces n’ont plus d’acte ni de scène précise. À peine une histoire. Lars Norén parle de musique. On ne cherche pas les notes dans une symphonie de Mozart.

Il y a une histoire derrière chaque réplique.

Lars Norén

Une écriture essentielle
Dans ses pièces, Lars peint de grandes fresques humaines. Beaucoup pensent que l’écriture de Lars est sombre, désespérante. Certes la violence existe sous sa plume parce qu’elle est une couleur de la vie, de notre vie intime mais aussi du monde. Il écrit ici et maintenant, sans fermer les yeux, avec pour ambition d’aller au plus près de la vérité. « Ce n’est pas montrer les victimes qui m’intéresse mais montrer le monde qui a rendu cela possible. Ce n’est pas que je désire écrire ces pièces mais je suis témoin de tant de choses que je dois les raconter, je dois écrire sur ces sujets-là. J’écris sur ce que je ressens moi en vivant dans ce monde. »

La seule chose que je puisse faire c’est du théâtre. C’est ce que je fais de mieux.

Lars Norén

Mais Lars Norén éclaire toujours la violence de tendresse et d’humour. Le public rit, souvent, face à ses personnages. Parce que ce qu’il voit dans ce miroir soulevé par le dramaturge résonne en lui.
À travers Fragments Norén, je désirais aussi souligner à quel point nous convoquions l’auteur des acteurs. Dans toutes ses pièces, écrites comme des partitions d’orchestre, Norén utilise les acteurs et les actrices comme solistes et virtuoses. Les dialogues brillent par leur rigueur et les non-dits implacables. Ces mouvements de l’ombre qu’il évoque régulièrement surgissent des multiples reprises et variations de la langue.

Lars Norén metteur en scène
Fragments Norén évoque aussi le grand directeur d’interprètes et metteur en scène qu’était Lars Norén. Même s’il affirmait que « la question de vie ou de mort était l’écriture. Ce sont les comédiens et les directeurs de théâtre qui sont venus me chercher pour mettre en scène. »
L’espace évoque celui de « sa » Mouette, présentée aux Théâtre des Amandiers de Nanterre en 2002, un espace où nous basculions sans cesse des répétitions à la représentation.
Chaque pièce de Lars est parsemée de références musicales, du morceau de jazz américain des années 1950 connu d’un petit nombre de passionnés à la chanson victorieuse du concours de l’Eurovision. Et toute répétition de Lars Norén commençait par deux danses auxquelles participait toute l’équipe. Il était important pour moi de garder une trace de ces moments tendres et joyeux. Ainsi chansons et musiques rythment Fragments Norén.
J’ai aussi eu envie de me souvenir de Lars en mettant sur le plateau plusieurs images rappelant ses mises en scène, les feuilles blanches jetées en l’air, les mouvements de vestes évoquant le temps qui passe, le tête-à-tête des deux frères, etc.
Et j’ai eu envie de suivre ses pas quand il affirmait « Le temps n’est pas linéaire. Nous avons à l’intérieur de nous un temps bien plus long que notre propre temps. Et les temps se rencontrent. » En 2009, Pur a été créée par Lars Norén sur la scène du Théâtre du Vieux-Colombier. J’ai voulu retrouver, quatorze ans plus tard, les images de Pur III sur scène, Françoise Gillard portant le même manteau et dansant à nouveau sur le quintet à cordes de Schubert. Une étonnante boucle de temps.
Sans oublier la photo de Samuel Beckett que Lars avait tout près de sa machine à écrire, photo présente le 24 avril au Théâtre du Vieux-Colombier, tout comme la machine sur laquelle Lars écrivait, prêtée par sa fille pour cette soirée si particulière.

Amélie Wendling, collaboratrice et traductrice de Lars Norén, directrice artistique de Fragments Norén

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© Bobo Ericzén

Article publié le 05 mai 2023
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