Un hommage à la magie du théâtre

« Sans famille » d'après Hector Malot. Adaptation Léna Bréban et Alexandre Zambeaux. Mise en scène Léna Bréban.

ENTRETIEN AVEC LÉNA BRÉBAN

  • Chantal Hurault. Adapter le roman Sans famille, qui raconte le voyage de Rémi de ville en ville et ses multiples péripéties, est une véritable gageure. Quels ont été les principes fondateurs de cette création ?

Léna Bréban. Le pari était en effet de raconter le voyage, d’embarquer les spectateurs dans cette équipée sur plusieurs années en France et en Angleterre. Il m’a fallu trouver, avec Emmanuelle Roy à la scénographie, un système offrant aux spectateurs le ressenti, spatial et temporel, de ce long périple. La tournette, avec un chemin qui évolue comme un tapis roulant autour d’une base centrale fixe, permet de faire défiler des paysages différents, de jouer sur des échelles et des perspectives entre le proche et le lointain. Des effets scéniques feront varier la marche dans la durée, du beau temps à la tempête de neige ou au fog londonien.
C’est une machinerie ludique comme je les adore ! Avec ce spectacle, je souhaite rendre un hommage à la magie du théâtre, à l’artisanat du plateau. Les acteurs sont partie prenante des changements de décor à vue, les autres éléments – la musique, la lumière, les costumes, le décor… – sont plus que jamais complémentaires. L’espace se transforme dans des mouvements d’ensemble, on glisse de Paris à Londres, de la rue à une auberge ou à une péniche. La tournette est le moteur de l’histoire qui avance, et, comme si on tournait les pages d’un livre popup, tout un monde s’ouvre à chaque séquence.

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Maquettes de la scénographie réalisées par Emmanuelle Roy

  • Chantal Hurault. Le fait que cette troupe soit composée d’animaux est un autre grand défi de mise en scène. Comment avez-vous résolu l’incarnation de ces personnages ?

Léna Bréban. Nous avons conservé le singe Joli-Coeur et le chien Capi. Je ne voulais pas qu’ils soient interprétés sur le même mode pour leur donner une individualité, selon le statut qu’ils ont dans le roman. Le singe est incarné par une marionnette, manipulée par Jean Chevalier. Jean a été initié à la manipulation notamment par Christian Hecq, cette transmission à l’intérieur de la Troupe, qui est un thème central de la pièce, est très belle. Dès les premières répétitions, un vrai joli duo est né, entre le petit singe autoritaire et le grand chien blasé ! Capi est quant à lui interprété par un comédien, Bakary Sangaré. Nous sommes en train d’inventer ensemble ce chien-homme, un personnage sans texte. J'aime particulièrement ce type de rôle pour lequel tout passe par le regard et la présence de l'acteur. Capi a un rôle très central ; au sein de la troupe, il agit comme l’adjoint de Vitalis et, surtout, c’est pour Rémi un substitut de mère Barberin, protecteur et d’une fidélité absolue.
Le discours d’Hector Malot sur la relation des hommes aux bêtes est passionnant : ce sont « des bêtes intelligentes qui m’ont rendu intelligent » dit en substance Vitalis. Ce sont les leviers de grandes thématiques initiatiques du roman, comme le deuil. Enfant, j’avais trouvé insupportable que l’auteur fasse mourir Joli-Coeur ! J’ai mis du temps à m’en remettre, comme pour Gavroche, mais ces pertes et ces deuils fictionnels m’ont aidée et fait grandir. Il y a peu d’occasion de montrer au théâtre le moment-même de la mort, de raconter cet instant où la main que l’on sert dans la sienne lâche.

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Maquettes de costumes réalisées par Alice Touvet

  • Chantal Hurault. C’est sur un ton burlesque et une note cabaret que vous vous emparez des pans sombres du roman…

Léna Bréban. J’aime rompre avec les codes de jeu réalistes, élargir l’imaginaire et miser sur le rire. Après le Cabaret sous les balcons que j’ai monté durant le confinement au printemps dernier, j’avais envie d’approfondir cette forme.
En distribuant Véronique Vella dans le rôle de Rémi, je savais que sa voix magnifique ferait du garçon musicien un chanteur extraordinaire. La pièce fluctue entre adresse directe au public – Rémi raconte son histoire – et le jeu – la fiction prend le dessus, le plateau entre dans l’action.
Quant au burlesque, c’est du rythme. Charlie Chaplin, que ce soit dans Le Kid ou dans Le Cirque, est une vraie référence pour l’équilibre qu’il maintient entre les larmes et le rire. La pièce débute dans une teinte assez sobre et progresse vers le burlesque. Brecht et les misérables de L’Opéra de quat’sous sont éminemment présents ; dans les liens que je tisse, le recéleur d’enfants Garofoli me fait ainsi penser à Peachum. Le burlesque est aussi l’occasion de personnages mémorables, comme par exemple le duo d’arnaqueurs formé par Driscoll, qui se fait passer pour le père de Rémi, et James Milligan, qui a fomenté l’enlèvement du nourrisson et inventé cette fausse famille pour récupérer son héritage. La séquence chez les Driscoll est certainement la plus burlesque de la pièce : tout ici, le jeu, les accents anglais appuyés, les perruques exagérément rousses, décale la situation effrayante pour Rémi vers un absurde très drôle.
Je ne suis pas dans la caricature pure, mais je demande toujours une légère exagération, j’appuie sur le curseur ! Je mène un travail sur le corps soutenu par des costumes colorés qui dessinent des singularités fortes en quelques traits, dans le style du Magicien d’Oz de Victor Fleming. Alice Touvet a ainsi mené un travail exemplaire sur le style XIXe en intégrant de légers décalages. Dans notre idée d’un grand livre d’histoires illustré, nous avons pensé aux films en noir et blanc colorisés. Gustave Doré n’est pas loin, tout comme les illustrations originales des Mystères de Paris d’Eugène Sue.

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  • Chantal Hurault. En quoi la dimension sociale de Sans famille, que vous reliez aux romans sociaux du XIXe siècle, a-t-elle été moteur ?

Léna Bréban. Enfant, ma lecture de Sans famille a été un véritable coup de foudre. J’y découvrais une autre époque, d’autres façons de vivre que la mienne. J’étais fascinée par cet enfant-héros qui connaissait la misère mais avait une vie exaltante. J’étais alors persuadée que le théâtre, c’était la troupe de Molière passant de ville en ville en roulotte, et ce qui était formidable ici, c’était que cette troupe voyageait à pied !
Avec Alexandre Zambeaux, nous avons cherché dans l’adaptation à ne pas abîmer ce désir enfantin d’aventure tout en prenant en charge la dimension humaniste, souvent très progressiste, avec laquelle Hector Malot décrivait son époque. On oublie vite, surtout dans les grandes villes, la misère qui nous entoure, que des gens meurent de froid encore dans la rue, comme Vitalis. Et il n’est pas anodin que Malot ait fait de Vitalis un Napolitain, un immigré issu d’une population alors méprisée comme le sont les Roms de nos jours. En ce qui concerne le travail des enfants, nous n’avons pas conservé l’épisode de la mine – qui mérite selon moi un spectacle entier, ce que je vais faire à Chalon-sur-Saône où il y a le musée de la Mine –, mais il est traité chez Garofoli et la bande d’orphelins qu’il exploite, à l’image des réseaux mafieux d’aujourd’hui. Pour Mattia, qui fuit avec Rémi – son violon sous le bras –, nous avons énormément pensé à Gavroche, à ces gamins du peuple chez Victor Hugo qui sont capables de marcher sur des charniers, qui n’ont pas beaucoup d’éducation mais du bon sens. Extrêmement touchant et très drôle, il a poussé sur le bitume et il est prêt à tout… du moment qu’il mange !

  • Chantal Hurault. Qu’est-ce qui sauve selon vous ces enfants ?

Léna Bréban. Leur passion pour l’art assurément. À travers le destin de Rémi, ce gamin qui se retrouve propulsé malgré lui dans un univers artistique, et qui y prend goût, j’interroge le fait de devenir un artiste, comme une mise en abyme du théâtre. Ce qui sous tend l’amour du jeu et du public dans cette petite troupe est bouleversant ; je pense à Joli-Coeur qui, malade, veut suivre coûte que coûte la troupe sur les planches, à ses amis qui font l’expérience, déroutante, de faire rire les gens alors qu’ils sont en deuil, au destin brisé de Vitalis, ce chanteur d’opéra qui a perdu avec sa voix sa raison de vivre.
L’histoire de Rémi est aussi celle d’un enfant qui apprend que la mère qui l’a élevé n’est pas sa mère biologique et qui, de nouveau abandonné, devient musicien des rues et part en quête de ses origines. Ce roman d’initiation est un livre rare sur la force de la transmission, notamment en art entre Vitalis, Rémi et Mattia.
Je dois dire que l’amitié, la famille, l’importance des rencontres sont des thèmes qui me touchent profondément car j’ai moi-même été adoptée par mon beau-père qui a énormément compté pour moi. Je m’écarte en ce sens quelque peu du happy end du roman tel que Malot a pu le penser, du fait d'un milieu et d'une époque attachés à un bonheur bourgeois fondé sur la fortune. Car si la mère biologique de Rémi, Mrs Milligan, s’avère être une mère idéale, très riche, je ne voulais pas qu’elle masque l’importance de Mère Barberin, qui a nourri, langé, réconforté Rémi petit. À ces deux mamans s’agrègent les personnes qu’il a rencontrées sur sa route et grâce auxquelles il s’est construit. La grande réussite de Rémi est de réunir, autour de sa mère et de son frère Arthur, Mère Barberin, le vieux Capi fidèle parmi les fidèles et Mattia, devenu un violoniste renommé. Ils sont passés par des épreuves aux enjeux sociaux et artistiques forts. La pièce se termine sur l’image de cette famille élargie, sur laquelle plane le souvenir de Vitalis disparu, qui a été pour Rémi un tuteur, au sens jardinier du terme.

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Entretien réalisé par Chantal Hurault,
Responsable de la communication et des publications du Théâtre du Vieux-Colombier

Photographies © Brigitte Enguérand

Article publié le 17 décembre 2020
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