Vinaver à la Comédie-Française

Hommage à Michel Vinaver (1927-2022)

Depuis 1983 et avant l’entrée au Répertoire de L’Ordinaire en 2009, Michel Vinaver figure au générique de spectacles de la Comédie-Française comme traducteur, dramaturge, metteur en scène, mais aussi sur scène, comme lecteur de ses propres pièces ou participant à des débats.

TRADUCTIONS (1983-1984)

Célèbre davantage en tant qu’auteur que traducteur, c’est pourtant par cette activité que son nom apparaît d’abord dans les programmes de la Comédie-Française. Il signe en 1983 la traduction des Estivants de Gorki mis en scène par un familier, Jacques Lassalle . Ils partagent le goût du détail et une certaine réserve vis-à-vis du spectaculaire : « Nous avons en commun le soupçon radical à l’égard de toute vérité préalable. Et c’est aussi l’un des sens de la pièce. Et nous voulions tous deux faire sur le texte un travail musical, symphonique sur l’entrelacement » (La Croix, 20/05/1983). Cette pièce leur permet également un travail de mémoire, en raison des origines russes de Vinaver. Confié à Yannis Kokkos, le décor jouant sur la simplicité du bois naturel et de la toile bise fait écho à la « limpidité » des dialogues. La traduction trouve, avec une « netteté coupante et sans faux lyrisme, un ton véridique qui sait osciller de la bonhomie à l’excès.» (L’Éducation-hebdo, 07/06/1983)

L’année suivante, Vinaver fait découvrir Le Suicidé d’Erdman à Jean-Pierre Vincent, alors administrateur général (1983-1986). Les dialogues dépourvus de sous-entendus, rendant le langage en parfaite adéquation avec les pensées et sentiments des personnages, sont un coup de foudre pour le dramaturge traducteur. Il lit alors, selon Jean-Pierre Vincent, la pièce « littéralement, il en fait une pièce plus éperdue, plus blanche, plus singulière. Grave et comique, mais qui tire vers la tragédie plus que vers la pure et simple pantalonnade vers laquelle elle pourrait déraper » (Jean-Pierre Vincent, Le Quotidien de Paris, le 26/04/1984). Ainsi procéda-t-il : « En pratique, j’ai fait d’abord un mot à mot. J’ai laissé reposer quelques semaines. Puis j’ai travaillé ce mot à mot à la manière dont je travaille le premier jet d’une pièce que j’écris. C’est un travail essentiellement sur la matière. […] Je ne suis que rarement retourné à l’original et je me suis peu posé la question de la fidélité. Ma traduction est, cependant, fidèle, non pour une quelconque raison de morale, mais pour la seule raison de l’amour » (Revue de la Comédie-Française, n° 129/130).

LECTURES ET DÉBATS (1993-2008)

Dix ans plus tard, la Comédie-Française fait entendre ses talents d’écrivain avec la lecture de L’Objecteur (réalisation de Jean-Loup Rivière au Théâtre du Vieux-Colombier, 1993). Cette pièce inédite est adaptée de son deuxième roman récompensé par le prix Fénelon et publié en 1951, lorsque l’envie d’écrire pour le théâtre ne l’avait pas encore gagné. C’est en composant Les Huissiers (1957) que Vinaver découvre la possibilité offerte par le théâtre de ne pas être soumis à la narration et désormais, il se consacre à celui-ci. La pièce est lue, un mois après L’Objecteur, par les Comédiens-Français dans une version écourtée pour France Culture. Le texte original – sorte de photographie des milieux parlementaires et des événements politiques de la IVe République – sera modifié une seconde fois pour la mise en scène d’Alain Françon (La Colline, 1999). Son besoin d’enregistrer les faits actuels donne naissance à 11 septembre 2001. Quelques mois après la lecture bilingue qu’il codirige avec Michel Didym au Studio-Théâtre (2005) où il lit son propre texte aux côtés de Jeffrey Carey, les paroles des personnages (les terroristes, George W. Bush et les employés du World Trade Center) et l’absence d’un parti-pris affirmé dont il se défend, feront polémique lors de la création de la version anglaise aux États-Unis. En 2008, Vinaver est invité au Théâtre du Vieux-Colombier à débattre avec Pierre Assouline et Claude Régy sur « Théâtre et histoire contemporaine : le théâtre est-il encore capable de s’emparer et de raconter son histoire contemporaine ? »

MISES EN SCÈNE DE/PAR L’AUTEUR (1990-2009)

Pour Antoine Vitez, administrateur de la Comédie-Française (1988-1990), Vinaver n’est pas le dramaturge du quotidien mais celui de la « grande Histoire dont il sait extraire l’essence en regardant les gens vivre ». Il programme, en 1990 au Théâtre national de l’Odéon, la création de L’Émission de télévision, première mise en scène d’une pièce de Vinaver au Français. Jacques Lassalle, qui s’en charge, a toute la confiance de l’auteur : « Au plan de la pensée, au plan de l’action, au plan de la vie quotidienne, tout chez lui se tient». Les affinités du trio formé avec Yannis Kokkos reposent sur une porosité commune. Pour cette pièce abordant l’un des thèmes récurrents de son œuvre (la perte de sa place et le chômage à travers, ici, son image à la télévision), les décors audiovisuels reproduits dans leur banalité coulissent, facilitant ainsi les passages d’un lieu à un autre et établissant une correspondance avec les temporalités différentes de la pièce qui raillent et simulent le montage télévisé. Dépourvu d’emphase, proche de la neutralité, le jeu des comédiens incarne cette banalité, notamment celui d’Alain Pralon qui, « avec une remarquable économie d’effets, parvient à donner à son personnage ˝en fin de droits˝ une présence en relief paradoxalement issue de l’absence à tout. » (L’Humanité, 22/01/1990)

Assumer la banalité est également l’intention de Christian Schiaretti, directeur du Centre dramatique national, la Comédie de Reims (1991-2002) pour sa mise en scène d’Aujourd’hui ou les Coréens (1993), pièce qui avait été lue sur France Culture par les Comédiens-Français en 1988. Vinaver fait partie des cinq auteurs du XXe siècle (avec Fernand Crommelynck, Georges Schéhadé, Serge Rezvani et Italo Svevo) programmés par l’administrateur Jacques Lassalle (1990-1993) au Théâtre du Vieux-Colombier « pour sentir comment la poésie dramatique est un bien de notre temps, un bien qui fait une aventure de théâtre, une aventure de langue également » (Brochure de la saison 1993-1994). La pièce qui, trente-huit ans après les mises en scène de Roger Planchon et de Jean-Marie Serreau, s’inscrit désormais dans une réalité différente, est présentée sous un nouveau titre, réunissant les deux précédents : « Aujourd’hui renvoie certes au titre originel de la pièce mais aussi à la nécessaire ouverture qu’il suppose : Aujourd’hui dans l’immanence de toute réalité, celle du plateau comprise » (Christian Schiaretti, Programme du spectacle). Vinaver et Schiaretti se découvrent mutuellement, l’auteur observe le metteur en scène : « Il aborde [mon théâtre], me semble-t-il, à partir de ce qu’il trouve dans les mots, sans chercher ailleurs. Il se concentre sur la surface, c’est-à-dire sans arrière-plan psychologique ou idéologique. C’est alors que l’action prend toute sa violence, plus que si les paramètres extérieurs étaient intensifiés » (Le Monde, 30/09/1993). La critique confirme cette attention portée au texte, par son sens de l’épure, l’absence d’effets et « un travail très soigné sur la souffrance des corps et le grain des voix » (Le Monde, 06/10/1993), celle de sept Comédiens-Français et dix acteurs de la Comédie de Reims qui s’allient idéalement, à l’image du couple parfaitement équilibré, formé par Philippe Torreton et Chloé Réjon.

Alors que la première mise en scène d’une pièce de Vinaver au Français fut une création, la dernière, L’Ordinaire en 2009, est une entrée au Répertoire sous le mandat de Muriel Mayette-Holz. Il choisit d’offrir aux Comédiens-Français, capables de « faire vibrer les multiples facettes » des personnages complexes, cette pièce de comédiens et surtout, à ses yeux, l’une de ses pièces « les plus joyeuses ». Donner à voir, dans une institution pyramidale comme la Comédie-Française, cette pièce parlant des rapports de pouvoir dans l’entreprise dicta aussi son choix. Peu d’auteurs aujourd’hui voient, de leur vivant, une de leur pièce entrer au Répertoire mais, plus modestement, cet honneur fait selon lui « sortir l’auteur de la seule actualité théâtrale et fait entrer son travail dans un élément plus durable ». Il décide de la monter en collaboration avec Gilone Brun afin de vérifier ses hypothèses sur la manière de transposer son écriture à la scène, en l’occurrence « en faire le moins possible pour en obtenir le plus possible » (La Croix, 13/02/2009). En rupture avec le naturalisme de L’Ordinaire à sa création (1983), Vinaver souhaite, par un décor le moins figuratif possible, ouvrir l’imaginaire et créer un « rapport plastique à l’écriture en donnant une place centrale à la présence des corps et des voix dans l’espace ». Une aile d’avion, image forte du crash dans les Andes en 1972 dont L’Ordinaire raconte la survie des passagers, s’avance dans l’orchestre, tel un vaste promontoire, et vient casser le cadre de scène pour transgresser la relation scène-salle. Ce refus du naturalisme efface des costumes toute trace de souillure et, pour éviter de s’enfermer dans une conception narrative de la pièce, l’auteur a subdivisé le texte en quarante-huit segments qu’il demande aux comédiens, lors des répétitions, de jouer en tirant au sort le numéro.
L’un d’eux, Gilles David, qu’il dirigea aussi avec Alain Françon dans Les Huissiers (La Colline, 1999) met en scène en mai 2016 La Demande d’emploi. Molière, pour qui Vinaver avait écrit l’hommage du 15 janvier 1998, accueillait ainsi dans sa Maison une septième pièce du dramaturge.

Florence Thomas, archiviste-documentaliste à la Comédie-Française, avril 2016

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Répétitions de l'Ordinaire © Brigitte Enguérand


MICHEL VINAVER ET LA COMÉDIE-FRANÇAISE

  • 1983 : traduction des Estivants de Maxime Gorki, mise en scène Jacques Lassalle (Salle Richelieu)
  • 1984 : traduction du Suicidé de Nicolaï Erdman, mise en scène Jean-Pierre Vincent (Théâtre national de l’Odéon).
  • 1988 : Aujourd’hui ou les coréens, lecture réalisée par Jean-Loup Rivière (Maison de la Radio).
  • 1990 : L’Émission de télévision, mise en scène Jacques Lassalle (Théâtre national de l’Odéon). Création de la pièce.
  • 1993 : Aujourd’hui ou les coréens, mise en scène Christian Schiaretti (Théâtre du Vieux-Colombier).
  • 1993 :L’Objecteur, lecture réalisée par Jean-Loup Rivière (« Samedi du Vieux-Colombier », Théâtre du Vieux-Colombier)
  • 1993 : Les Huissiers, lecture sous la réalisation artistique d’Alain Pralon (Maison de la Radio)
  • 2005 : 11 septembre 2001, lecture sous la direction de Michel Vinaver (« La Mousson d’été à Paris », Studio-Théâtre).
  • 2008 : débat « Théâtre et histoire contemporaine : le théâtre est-il encore capable de s’emparer et de raconter son histoire contemporaine ? » réalisé par Joël Huthwohl en collaboration avec Laurent Muhleisen (« Les grands débats », Théâtre du Vieux-Colombier).
  • 2009 : L’Ordinaire, mise en scène Michel Vinaver et Gilone Brun (Salle Richelieu). Entrée au répertoire.
  • 2016 : La Demande d’emploi, mise en scène Gilles David (Studio-Théâtre).
Article publié le 02 mai 2022
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