Le Roi Lear

L'entrée au Répertoire des pièces de Shakespeare

INDOMPTABLE SHAKESPEARE

Jusqu’au XXe siècle, la Comédie-Française entretient des relations ambivalentes avec le répertoire shakespearien : la dramaturgie de l’auteur anglais ne peut convenir au public français habitué aux règles très régulières du classicisme. Voltaire le premier fait découvrir Shakespeare aux Français, traduisant quelques passages de Hamlet dans les Lettres philosophiques (1734). Entre fascination et répulsion,
Voltaire et ses contemporains reprochent à Shakespeare de s’affranchir des conventions dramatiques, de mélanger les genres tragiques et comiques, d’introduire la trivialité au sein du genre tragique, enfin… de remettre en cause le génie français des grands auteurs classiques. Si Pierre Letourneur traduit assez justement le théâtre de Shakespeare de 1776 à 1783, c’est dans les adaptations infidèles de Ducis que le public français découvre sur scène Hamlet en 1769, Roméo et Juliette (1772), Le Roi Lear (1783), Macbeth (1784), Othello (1792). Le grand Lekain refuse d’interpréter Hamlet, devant « la difficulté de faire digérer les crudités de Shakespeare à un parterre nourri depuis longtemps des beautés substantielles de Corneille et des exquises douceurs de Racine ». Les versions de Ducis des tragédies de Shakespeare sont pourtant bien édulcorées et adaptées au goût français: Othello y perd sa fin tragique, on supprime le spectre dans Hamlet. Les héros shakespeariens trouvent en Talma un interprète idéal (Hamlet, Macbeth, Othello), familier de l’Angleterre, ami de Ducis, et travaillant de concert avec l’auteur-adaptateur pour rendre ces tragédies barbares toujours plus proches de la réalité scénique.
De 1822 à 1827, des comédiens anglais se produisent à Paris, permettant au public français de découvrir le répertoire anglais, mais surtout les pièces de Shakespeare dans leur version originale. Le romantisme naissant s’empare de Shakespeare, et en particulier de ses tragédies, à la fois comme source d’inspiration des arts en général, et comme modèle pour la théorisation du drame romantique. Victor Hugo, dans la préface de Cromwell (1827), conçoit les pièces de Shakespeare comme un mélange d’éléments comiques et tragiques dont la synthèse sera le drame : « Shakespeare, c’est le drame, qui fond sous un même souffle le grotesque et le sublime, le terrible et le bouffon, la tragédie et la comédie, le drame est le caractère de la troisième époque. »
Néanmoins, les adaptations romantiques de Shakespeare à la Comédie-Française, n’assument pas totalement la traduction littéraire au plus proche du texte d’origine.
Dans la préface du More de Venise, Othello, Alfred de Vigny, conscient de l’imperfection de toute traduction revendique de « naturaliser » le texte shakespearien (1829) ; il en supprime de fait toutes les grossièretés. Le texte shakespearien est largement purgé de ses « irrégularités » choquantes pour le public français, les intrigues sont resserrées: Shakespeare n’est donc souvent plus qu’une lointaine inspiration, fascinante pour ces auteurs, mais dont le texte est édulcoré comme il se doit. Ce n’est véritablement que dans les années 1930, sous le mandat de l’administrateur Émile Fabre, que la ComédieFrançaise joue des adaptations ou traductions plus fidèles aux textes d’origine. On peut alors dire que Shakespeare entre véritablement au Répertoire.

« LE ROI LEAR » DE JEAN-FRANÇOIS DUCIS

Le Roi Lear est connu du public français dès 1783 dans l’adaptation et sous le nom de plume de Jean-François Ducis avec Brizard dans le rôle-titre. L’auteur part de la traduction de Letourneur mais s’en éloigne, notamment en versifiant le texte. Il s’agit néanmoins de l’adaptation la plus fidèle de Ducis. Dans la société d’Ancien Régime, sous le règne de Louis XVI, la pièce est considérée comme une audace en ce qu’elle représente un roi proche de la folie. L’auteur compte sur le comédien Brizard qui a su s’attirer la sympathie du public, même dans les rôles les plus violents. Il ne reste quasiment rien du style shakespearien. L’intrigue est globalement respectée mais de manière parfois très différente du texte d’origine. Les changements les plus fondamentaux concernent la tempête et la folie de Lear, non représentés, et qui ne subsistent plus qu’à l’état de descriptions rapportées par des tiers. La pièce est réduite à l’unité de temps de 24 heures. Elle est représentée 27 fois, puis 4 fois en 1800 avant de sortir de la programmation.

IMPOSSIBLE « LEAR » AU FRANÇAIS ?

Pourquoi la pièce de Shakespeare n’a-t-elle jamais été jouée au répertoire de la Comédie-Française jusqu’à ce jour ? Plusieurs hypothèses peuvent être avancées.Dans la première moitié du XXe siècle, la pièce n’est pas inconnue du public parisien. Elle remporte même un franc succès dans la mise en scène d’André Antoine au Théâtre-Antoine en 1904, mais selon Estelle Rivier, les choix généraux de programmation des pièces de Shakespeare portaient davantage sur les pièces populaires auprès du grand public, notamment Roméo et Juliette, et Hamlet. Seule une partie du corpus shakespearien était bien connue du public et de la critique.
La pièce est peu jouée en France avant les années soixante : en 1932 à l’Odéon, en 1958 par la Comédie de Provence. L’accueil de la mise en scène de Peter Brook au Théâtre des Nations, en 1963, par la Royal Shakespeare Company change la donne. Un certain nombre de mises en scène françaises vont être données à sa suite, notamment celle de Georges Wilson au TNP de Chaillot en 1967, mais aussi celles de Pierre Debauche (1970), Georges Lavaudant (1976), Yves Gasc (1978), Daniel Mesguich (1981), Marcel Maréchal (1983), Bernard Sobel (1993), Philippe Adrien (2000), André Engel (2006), JeanFrançois Sivadier (2007), Christian Schiaretti (2014), Olivier Py (2015). Des metteurs en scène étrangers s’en emparent aussi et font jouer leurs Lear en France : Giorgio Strehler (1977), Matthias Langhoff (1986) et Klaus Michael Grüber (1985).
Dans les archives de la Comédie-Française, la pièce est évoquée à plusieurs reprises mais elle n’est jamais jouée. Le problème de la traduction se pose en 1934 : le comité des comédiens réclame de nouvelles traductions de Macbeth, d’Othello et du Roi Lear pour pouvoir les interpréter. En 1958, on reçoit une adaptation qui ne sera pas montée. Dans ces mêmes années cinquante, la Troupe tente de faire venir Peter Brook, à plusieurs reprises, pour monter un Shakespeare, sans pouvoir le décider. La question de l’interprétation des grands rôles shakespeariens est au cœur de la réflexion sur la programmation, ainsi on suggère Richard III avec Robert Hirsch – réalisé en 1972 – ou Le Roi Lear avec Henri Rollan. Ce dernier quitte la Troupe en 1960 sans avoir joué le rôle. La pièce est évoquée par Jean-Pierre Vincent mais il choisit Macbeth, considérant qu’elle résonne davantage avec l’actualité dans ce qu’elle dit des rapports entre crime individuel et crime d’État.
Ll faut attendre 2022 pour que la proposition d’Éric Ruf faite à Thomas Ostermeier rencontre le désir du metteur en scène qui rêvait de monter la pièce depuis l’adolescence. Le théâtre est une question de rencontre : celle-ci permet enfin au Roi Lear de Shakespeare d’entrer au Répertoire, dans la traduction d’Olivier Cadiot qui avait déjà composé celle de La Nuit des rois en 2018.

Agathe Sanjuan, conservatrice-archiviste de la Comédie-Française

Visuel : Lear : Hurlez ! Hurlez ! Hurlez ! Hurlez ! Oh, vous êtes des hommes de pierre : si j’avais vos langues et vos yeux je les emploierais si bien que je ferais crever la voûte du ciel. Elle est partie pour toujours.
Le Roi Lear : acte V, scène 3 © Coll. Comédie-Française

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