Loge, Logement, délogement

La loge d’acteur est un domaine invisible, dévoilé aujourd’hui par Stéphane Lavoué dans son livre « Les loges du Français », celui où l’artiste revêt la peau du personnage. La loge abrite la garde-robe de costumes et permet au comédien de se changer, d’endosser ses habits de jeu, de se préparer, de se maquiller, de travailler à ses textes.

HISTOIRE DES LOGES 1/5

Premier épisode d'une série de cinq articles (voir en bas de page)

Toucher un « feu » pour alimenter la flamme

Dès les premiers temps de l’histoire de la Comédie-Française, les loges sont présentes dans les archives comptables, car la double-fonction de la loge – transformation et mise en valeur du corps – nécessite chaleur et lumière, procurés par le feu de la cheminée et la chandelle de la coiffeuse. Les « feux » sont donc payés au comédien, à chaque fois qu’il joue, pour éclairer et/ou chauffer la loge. L’indemnité est strictement réglementée à cet effet – cinq sols et demi pour le feu, deux sols six deniers pour la chandelle en 1682 – et on statue en assemblée générale pour savoir à quelle date les feux de cheminée redeviennent nécessaires à l’arrivée des premiers frimas.

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  • Registre journalier, page du 6 octobre 1686 © Coll. Comédie-Française

À cette date, seule la chandelle a été payée aux acteurs, mais le lendemain on statue en assemblée que :

On a résolu, attendu le froid de la saison, que les acteurs auront leur chauffage quand ils joueront

Ce qui apparaît de fait dès le 8 octobre.

Le feu est donc une donnée particulièrement sensible du fonctionnement des loges. La loge collective de la Troupe dans son ensemble porte d’ailleurs le nom de « foyer », pour la même raison.
Les bûches et braises sont convoitées dans tout le bâtiment – où il fait certainement très froid en hiver – c’est pourquoi un règlement de 1692 stipule « qu’aucun acteur ou actrice, leurs valets ou servantes ne pourront prendre de feu dans les foyers, pas même pour allumer le feu de leurs loges a peine de trente sols d’amande » pour les contrevenants. Visiblement, ces derniers ne sont pas dissuadés et on décide en 1695 de supprimer le feu de tout acteur qui se livrerait à ce type de vol.

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  • Mounet-Sully dans sa loge devant sa cheminée (en costume de Néron dans Britannicus, 1872) © Coll. Comédie-Française

Le feu indemnitaire et réglementaire est donc le même pour tous et évolue au cours du temps suivant les cours du bois et des chandelles. Néanmoins, on constate au début du XIXe siècle que le feu devient une rémunération à part entière et que contrairement à tous les usages, il peut favoriser certains acteurs vedettes. En 1837, le feu de Mlle Mars, actrice de premier plan, est de 150 francs, contre 10 francs pour ses camarades.

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  • Feuille des feux du mois d’octobre 1837 © Coll.Comédie-Française

Aujourd’hui encore, les comédiens touchent un « feu » à chaque fois qu’ils jouent. Il ne sert ni à éclairer ni à chauffer la loge, mais constitue bien un paiement à la représentation, indexé sur l’ancienneté et le statut du comédien – pensionnaire ou sociétaire – dans la Troupe. Cette rémunération complémentaire est fonction de l’avancement du comédien dans la carrière ; elle s’établit sur une base égalitaire et non sur leur renommée.

Loge ou logement ?

Les photographies de Stéphane Lavoué montrent combien les loges sont aujourd’hui aménagées par chacun comme des studios personnels. Cependant, la personnalisation du lieu, reflet de la personnalité de l’occupant, n’en fait pas pour autant un logement. Ceci est établi depuis 1690 : un règlement stipule : « Il a été réglé que personne ne pourra demeurer dans sa loge et y faire sa résidence ordinaire ni même y coucher la nuit. »
La fonction professionnelle de la loge est réaffirmée en 1695 : « Il a été réglé et arrêté conformément aux premières délibérations concernant l’établissement qu’aucun acteur ou actrice ne pourra loger ni coucher dans sa loge sous quelque prétexte que ce soit, les loges des acteurs et actrices n’étant destinées à aucun autre usage que pour s’habiller pour la Comédie et si quelque acteur ou actrice contrevient le concierge sera obligé d’en avertir et la compagnie le poursuivra. »
Hélas, le concierge, peu intègre lui-même, est accusé l’année suivante d’avoir logé son gendre dans un local, qui est immédiatement réquisitionné pour en faire une loge.

Cette règle est toujours valable aujourd’hui : nul ne doit passer la nuit dans sa loge. Si les photos anciennes montrent que les loges sont meublées de quantités de fauteuils et canapés, point de lit, contrairement à aujourd’hui où les comédiens font fréquemment la sieste dans leur loge.

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  • Charles Le Bargy dans sa loge © Coll.Comédie-Française
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  • Leloir dans sa loge © Coll. Comédie-Française

Architecture des loges, une gestion de pénurie

Quelle que soit l’époque et les théâtres occupés par la Troupe, le bâtiment de la Comédie-Française a toujours été un véritable gruyère – le sous-sol de la Salle Richelieu porte d’ailleurs actuellement ce nom. Au gré des besoins et des nouveaux usages, on a ajouté des pièces, reconfiguré les lieux, que ce soit dans la salle – notamment avec l’ajout de nombreuses loges de spectateurs au XVIIIe siècle qui disparaissent à partir du milieu du XIXe siècle au profit d’espaces plus ouverts – ou dans les coulisses, les comédiens n’ayant de cesse de bouger les cloisons, de les abattre ou de les reconstruire. Aussi est-il difficile aujourd’hui de tracer la généalogie de loges qui, par ailleurs, ne cessent de changer d’occupants. Certaines légendes courent cependant les couloirs, notamment concernant la tristement célèbre loge de Jane Henriot, où elle décéda par asphyxie au cours de l’incendie de 1900, et que certains comédiens refuseront ensuite d’investir.

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  • Le Panorama, incendie de la Salle Richelieu, 1900, la loge de Mlle Henriot après l’incendie © Coll. Comédie-Française

Mlle Henriot, surprise par le feu, fit l’erreur de retourner dans sa loge pour rechercher son petit chien et mourut asphyxiée dans les couloirs.

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  • Jane Henriot, huile sur toile d’Emile-Auguste Carolus-Duran, 1900 © P. Lorette, coll. Comédie-Française

La récurrence des travaux de reconfiguration dans les archives montre que la pénurie de locaux était un sujet de préoccupation, et ce dès l’origine. Tout local récupéré est transformé en loge. En 1682, on apprend que certains comédiens n’ont pas de loge. La vacance de Pâques, pendant laquelle les comédiens ont interdiction de jouer, est mise à profit pour transformer un « logement » en plusieurs loges. En 1687, les comédiens sont sommés de déménager et trouvent un nouveau jeu de paume qu’ils aménagent en théâtre, le Jeu de paume de l’Étoile : le bâtiment comprend alors une quinzaine de loges disposées sur trois étages pour 18 acteurs. Mais il est visiblement malcommode du côté des espaces internes, tous les efforts ayant porté sur le confort du public. Certaines loges sont isolées dans le bâtiment : en 1695, on perce un corridor pour accéder à la loge de Mlle de Gedefroy qui demande très vite à en changer. Le théâtre est enserré entre des bâtiments et possède peu de possibilité d’extension. Les acteurs sont à l’étroit mais maîtres en leur logis qui leur appartient.

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  • Coupe et profil du Jeu de paume de l'Etoile, [1700-1760] © A. Dequier, coll. Comédie-Française

Les loges d’acteurs se situent principalement dans le bâtiment attenant accessible par un passage interne.

Ce n’est pas le cas du théâtre construit pour eux par l’administration royale au Faubourg Saint-Germain, inauguré à la rentrée de Pâques 1782. Les architectes Peyre et de Wailly, ainsi que le Comte d’Angiviller, directeur des Bâtiments du Roi, se sont peu soucié des loges ni, visiblement, de l’organisation des espaces de travail. Le bâtiment à peine inauguré, les comédiens sont obligés de proposer des modifications structurelles majeures, mais sont contraints d’obtenir l’assentiment du Comte d’Angiviller :

« 12 août 1782
Il a été unanimement arrêté que l’arrangement le plus convenable et le plus utile à la Comédie était :
1/ De pratiquer deux nouvelles loges dans la salle d’assemblée actuelle, et de construire un entresol au dessus desdites loges pour des garde-robes ;
2/ de former une troisième loge dans le foyer actuel des acteurs, en prenant une croisée pour y pratiquer le bureau de M. de la Porte [le secrétaire-souffleur de la Comédie]
3/ De pratiquer une quatrième loge dans la pièce qui formait ci-devant le bureau du Sieur Deplan
4/ De placer la loge de M. Préville dans le Foyer des Danseurs ;
5/ De destiner au Foyer des Acteurs la loge actuelle de M. Préville ;
Qu’avec ces changements il sera possible d’exécuter facilement la suppression des escaliers et des tambours qui embarrassent le théâtre, et de substituer aux deux escaliers du fond le projet du nouvel escalier proposé par M. de Peyre.
Comme cette distribution entrainera la suppression de la loge de M. Brizard et de celles de M. et Mad. Molé, ils auront, suivant leur rang d’ancienneté le choix dans les nouvelles loges qui seront construites. Les autres loges appartiendront à Mad. Vestris et à Mlle Sainval aussi selon leur rang d’ancienneté.
La Comédie supplie instamment Monsieur le Comte d’Angiviller de vouloir bien agréer les arrangements seuls capables de rendre le service du théâtre plus commode et de concilier l’intérêt des Actrices tragiques, sans nuire aux droits toujours reconnus dans la Comédie. »
Signé par tous les acteurs

Cette lettre n’est que la première revendication d’une longue série qui nécessite chaque fois l’autorisation du directeur des Bâtiments du Roi. Le bâtiment appartenant au Roi, les travaux d’importance sont à ses frais tandis que l’entretien est au frais de la société des Comédiens-Français. Une difficulté s’élève à propos des loges qui ont déjà fait l’objet de nombreux changements en 1786 : il est alors entendu que les comédiens sont libres d’effectuer des travaux s’ils s’engagent à ne pas diminuer le nombre total de loges. Par ailleurs tous les travaux structurels sont soumis à l’autorisation du Comte d’Angiviller, notamment les déplacements, suppressions ou ajouts de cloison, de manière à « ne compromettre en aucun sens et par des dispositions arbitraires la sûreté et la solidité des lieux ».

À la Salle Richelieu également, à partir de 1799, les Comédiens devront composer avec l’architecte du Palais-Royal et avec les velléités du Duc d’Orléans de reprendre tel ou tel local attribué à la Comédie-Française.

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  • Plan inventaire de Peyre et Fontaine, architectes du Palais-Royal dans les années 1820 © Coll. Comédie-Française

Comédiens indélogeables

Quand un comédien quitte la Troupe, il doit laisser sa loge et le chez-soi aménagé au fil des années. Il est compréhensible que certains aient du mal à partir…
Il faut recourir au service des ouvriers de la maison pour déménager manu militari les affaires de Mlle Duchesnois en 1830, ou de Mme Geffroy en 1832.

En 1920 on crée le statut de « sociétaire honoraire » pour Julia Bartet et plusieurs comédiens bénéficient de ce statut dans les années qui suivent. Les sociétaires honoraires peuvent alors conserver leur loge – ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Le statut leur permet de donner un certain nombre de représentations par an, qui leur sont dûes – cela peut aller jusqu’à 80 représentations par an –, garantie de revenus importants pour ces prestigieux artistes. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, les sociétaires honoraires peuvent être invités à jouer sur la scène de Richelieu sans pour autant que cela constitue une obligation pour le théâtre. Mais en 1923, devant l’engorgement des locaux et le manque de loges, il est établi que les sociétaires honoraires devront laisser leur loge. Georges Berr refuse de déménager. La question devient cruciale en 1925 : exceptionnellement on l’autorise à garder sa loge tant que ses représentations annuelles sont assurées tandis qu’on signifie à Raphaël Duflos qu’il devra quitter les lieux après sa représentation de retraite. Par la suite on sanctuarise une loge réservée aux sociétaires honoraires.

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  • Julia Bartet dans sa loge. Cliché publié dans La Vie heureuse, avril 1903 © Coll. Comédie-Française
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  • Raphaël Duflos dans sa loge. Carte postale Nos artistes dans leur loge, photo. Comœdia © Coll. Comédie-Française

Retrouvez la suite de notre histoire des Loges du Français :

Article publié le 15 novembre 2019
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